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DIDEROT.


tout s’agitera, se remuera, changera de situation et de forme ; il s’élèvera du bruit, de petits cris, et celui qui n’aurait jamais vu une pareille grappe s’arranger, serait tenté de la prendre pour un animal à cinq ou six cents têtes et à mille ou douze cents ailes… L’homme qui prendrait cette grappe pour un animal se tromperait ; mais voulez-vous qu’il juge plus sainement ? Voulez-vous transformer la grappe d’abeilles en un seul et unique animal ? Eh bien, amollissez les pattes par lesquelles elles se tiennent ; de contiguës qu’elles étaient, rendez-les continues. Entre ce nouvel état de grappe et le précédent, il y a certainement une différence marquée ; et quelle peut être cette différence, sinon qu’à présent c’est un tout, un animal un, et qu’auparavant ce n’était qu’un assemblage d’animaux… Tous nos organes ne sont de même que des animaux distincts que la loi de continuité tient dans une sympathie, une unité, une identité générale.

Maintenant, ouvrez les Éléments de physiologie et suivez, page par page la série d’expériences, de faits et de détails, patiemment recueillis et lumineusement interprétés, qui ont conduit Diderot à la théorie, partant au symbole, des organes considérés comme animaux. Il établit d’abord que la sensibilité de la matière est la vie propre aux organes. (La preuve en est évidente dans la vipère écorchée et sans tête, dans les tronçons de l’anguille, dans la couleuvre morcelée, dans la contraction du cœur piqué.) Il en conclut, contre son maître Haller, qu’aucune partie animale quelconque n’est dépourvue absolument de sensibilité. (Un organe intermédiaire non sensible entre deux organes sensible, et vivants, arrêterait la sensation et deviendrait, dans le système, corps étranger ; ce serait comme deux animaux coupés par une corde.) Mais la sensibilité ne suffit