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PHILOSOPHIE.


voir le changement indéfini comme la loi même de la nature à travers le temps et l’espace, l’ensemble des considérations et des observations d’où découle cette grande vue n’est pas moins digne d’être admiré, le savant est à la hauteur du poète. S’il a brûlé dans une heure de lassitude et d’ennui quelques-uns des cahiers où il consignait ses « réclames », il nous reste les Éléments de physiologie où il a accumulé, pendant près de trente années, ses réflexions et ses hypothèses, ramassant les idées qui flottaient dans l’air, vivifiant ces fantômes et ces embryons du sang si riche qui coulait dans ses veines, opposant sans broncher aux railleries des ignorants et à l’ironie de Voltaire lui-même sa foi inébranlable dans la grande loi de continuité de Leibniz, marchant d’un pas toujours plus assuré vers la découverte triomphale de la vérité.

L’image fameuse de la grappe d’abeilles symbolise, dans le Rêve de d’Alembert, la théorie qui résout chaque organisme en une multitude d’organismes élémentaires, contigus et sensibles, tous également vivants, l’animal n’étant ainsi qu’une réunion d’animaux :


Avez-vous vu quelquefois un essaim d’abeilles s’échapper de leur ruche ? Le monde ou la masse générale de la matière est la ruche. Les avez-vous vues s’en aller former à l’extrémité de la branche d’un arbre une longue grappe de petits animaux ailés, tous accrochés les uns aux autres par les pattes ?… Cette grappe est un être, un individu, un animal quelconque… Si l’une de ces abeilles s’avise de pincer d’une façon quelconque l’abeille à laquelle elle s’est accrochée, celle-ci pincera la suivante ; il s’excitera dans toute la grappe autant de sensations qu’il y a de petits animaux ; le