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DIDEROT.


parce qu’il ne veut tuer personne, que la charge de procureur est trop difficile à remplir délicatement, et qu’il ne sera pas davantage avocat, malgré son goût pour la parole, parce qu’il éprouve une trop vive répugnance à s’occuper toute, sa vie des affaires d’autrui. Sur quoi ce dialogue : « Que voulez-vous donc être ? — Ma foi, rien, mais rien du tout. J’aime l’étude ; je suis fort heureux, fort content ; je ne demande pas autre chose. » Nécessairement, son père, qui ne comprend pas qu’on cesse d’être ouvrier pour ne pas devenir mandarin, lui coupe les vivres ; — et voilà Diderot abandonné à lui-même, dans ce grand Paris, n’ayant d’autres ressources que des leçons de mathématiques qu’il donne « sans en savoir un mot, apprenant en montrant aux autres », faisant par raccroc des traductions pour les libraires, à trente écus le volume, et des sermons pour les missionnaires, à cinquante écus pièce ; logé dans un grenier de la rue des Deux-Ponts, dînant, les bons jours, à six sous par tête, vêtu, hiver et été, « d’une redingote de peluche grise, éreintée par un des côtés, avec la manchette déchirée et des bas de laine noirs recousus par derrière avec du fil blanc » ; mais toujours plus avide de voir et de savoir, se frottant à toutes les sciences, coudoyant tous les mondes, et ne concevant pas d’autre bonheur que de meubler tous les jours et d’enrichir davantage son cerveau. La fable du chien et du loup a été écrite pour lui. Il quitte un financier qui lui donne, avec le logement et le couvert, quinze cents livres