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DIDEROT.


fâcheuse incertitude de la loi morale, il déduit, en revanche, de l’inutilité d’une cause première la plus magnifique interprétation de la nature qui ait été tentée depuis Lucrèce. Il va deviner, dans une vision de génie, après avoir esquissé la science expérimentale, tous les éléments essentiels du transformisme.

En adressant à Mlle Volland le Rêve de d’Alembert, dialogue dont les interlocuteurs sont le philosophe qui rêve, Mlle de Lespinasse et le docteur Bordeu : « Il n’est pas possible, écrivait Diderot, d’être plus profond et plus fou ». Et comme « son amoureuse, femme sensée et discrète », s’étonnait de quelques extravagances : « Il y a quelque adresse, ajoutait-il, à avoir mis mes idées dans la bouche d’un homme qui rêve ; il faut souvent donner à la sagesse l’air de la folie, afin de lui procurer ses entrées. » Même avec cet air de folie, cette sagesse était trop révolutionnaire pour que Diderot, à la réflexion, pût risquer de publier son ouvrage favori, le seul de ses livres, avec les Éléments de physiologie, « où il se complaisait ». Il garda donc ces fragments dans son tiroir, les confiant parfois à de rares initiés, les reprenant plus souvent lui-même pour les corriger, et convaincu qu’« il restera peu de choses à savoir dans ce genre de métaphysique à celui qui aura la patience de les relire deux ou trois fois et de les entendre ».

Essayons d’entendre cette « statue brisée », avec ses compléments nécessaires, la Réfutation de l’ou-