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PHILOSOPHIE.


enfant ; c’est à elle à fixer les limites de tous les devoirs. » Il ne lui échappe pas cependant que cette volonté générale peut être contraire à toute justice ; il est évident qu’elle peut créer la loi civile et la loi générale et, même, qu’elle seule le peut ; mais l’homme de bien peut-il recevoir d’elle la loi morale, ne doit-il pas « créer lui-même le devoir » ? Or Diderot ne se tire de cette impasse que par deux contes ; dans l’Entretien d’un père avec ses enfants, il conclut à la fois qu’il n’y a point de lois pour le sage à qui il appartient de juger des cas où il faut s’y soumettre ou s’en affranchir, mais qu’une ville ne serait pas habitable où tous les citoyens penseraient ainsi ; dans l’histoire du médecin Gardeil qui abandonne sa maîtresse pauvre et malade pour aller conquérir la fortune et la considération à Toulouse, il affirme, la main sur la conscience, que, malgré sa fortune et son crédit, il refuserait avec dégoût de prendre cet utilitaire pour ami. Mais ces deux admirables récits ne suffisent-ils pas de reste à rétablir la vérité ?

Diderot, malgré quelques contradictions qui le relèvent par accident, est donc un moraliste d’un ordre très bas ; il n’a le sentiment de l’esthétique morale que pendant la rapide durée d’un éclair ; le reste du temps, il se débat dans les ténèbres ou s’agite dans la boue ; ce n’est pas aux belles passions qu’il lâche la bride, c’est aux intérêts et aux appétits. Mais si l’absence d’idéal, sinon la négation de la Divinité, le conduit ainsi à la plus