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DIDEROT.


gravement « que la morale des aveugles est différente de celle des clairvoyants, que celle d’un sourd différerait encore de celle d’un aveugle et qu’un être qui aurait un sens de plus que nous trouverait notre morale imparfaite, pour ne rien dire de plus ». Un aveugle qui nierait les couleurs, un sourd qui nierait les sons, déraisonneraient-ils autrement ? Si l’existence d’un sens de plus ou de moins chez quelques êtres ne peut modifier la réalité du monde extérieur, faire, par exemple, que la lumière ne soit pas, comment en serait-il autrement des lumières du monde moral ?

C’est cependant à cette négation que conclut Diderot. Il ne tient pas que tout est beau dans la nature, mais il affirme que « tout y est bon » ; dès lors, si l’homme est perverti, il n’en faut accuser que les « misérables conventions » qui ont été imaginées par les tyrans et par les coquins. Notez que lui-même avait commencé, dans son Introduction aux grands principes, par soutenir la thèse diamétralement opposée et par traiter d’« absurdité » ce même aphorisme de Pope que « tout est bien dans le monde, alors qu’il devait se contenter de dire que tout est nécessaire ». Mais il est revenu, sous l’influence de Rousseau et dans les longues causeries où ils s’échauffaient l’un l’autre, de cette conception première et judicieuse que « le mal est une suite des lois générales de la nature, et qu’il faudrait, pour qu’il ne fût pas, que ces lois fussent différentes ». Il avouait alors, non sans grâce,