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PHILOSOPHIE.


ne pouvait se méprendre aux paroles qu’il avait prêtées à Saunderson et qui comprennent, au surplus, deux arguments de valeur fort inégale. Le savant aveugle répond d’abord aux objections du ministre Holmes sur les merveilles de la nature : « Eh, monsieur, laissez là tout ce beau spectacle qui n’a jamais été fait pour moi ! J’ai été condamné à passer ma vie dans les ténèbres ; et vous me citez des prodiges que je n’entends point, et qui ne prouvent que pour vous et que pour ceux qui voient comme vous. Si vous voulez que je croie en Dieu, il faut que vous me fassiez toucher. » — Évidemment le raisonnement est très faible, car un clairvoyant pouvait dire de même : « Il faut que vous me fassiez voir Dieu ». — Mais Saunderson ne se tient pas à la réfutation de cette plus ancienne preuve physique de l’existence de Dieu, le Cœli enarrant gloriam… de David, preuve aussi médiocre dans sa splendeur que l’objection dans sa pauvreté ; Diderot, découvrant enfin sa véritable pensée, fait opposer au prêtre l’inutilité scientifique de toute intervention surnaturelle :


Un phénomène est-il, à notre avis, au-dessus de l’homme ? Nous disons aussitôt : c’est l’ouvrage d’un dieu ; notre vanité ne se contente pas à moins. Ne pourrions-nous pas mettre dans un discours un peu moins d’orgueil, et un peu plus de philosophie ? Si la nature nous offre un nœud difficile à délier, laissons-le pour ce qu’il est ; et n’employons pas à le couper la main d’un être qui devient ensuite pour nous un nouveau nœud plus indissoluble que le premier. Demandez à un Indien pourquoi le monde reste suspendu dans les airs, il vous répondra qu’il est porté sur le dos d’un éléphant ; et