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PHILOSOPHIE.


vous comprend, mais l’esprit n’est pas assez haut placé ! » Et le lendemain, Dieu, de nouveau, ne sera plus pour lui que « le premier joueur de marionnettes qui ait existé dans le monde ».

En débutant dans la philosophie (1745) par la traduction libre de l’essai de Shaftesbury sur le Mérite et la Vertu, il ne serait pas tout à fait juste de dire, avec La Harpe, que Diderot avait fait siennes toutes les idées du métaphysicien anglais. Cependant Naigeon avoue lui-même que son maître avait traversé à ce moment une crise et qu’il fallut quelque temps « pour qu’il se soit complètement purgé de la matière superstitieuse ». Si Diderot, en effet, n’avait pas été lui-même, à ce moment, « infecté de théisme », c’est-à-dire d’une croyance qui, à la différence du déisme simple, non seulement admet l’existence d’un Dieu, mais est tout près d’admettre la révélation, comment expliquer qu’il ait traduit avec tant d’éclat et annoté avec tant de passion un ouvrage dont le but déclaré est que « la vertu est presque indivisiblement attachée à la connaissance de Dieu » et que le bonheur temporel de l’homme est inséparable de la vertu ? Évidemment Diderot fait ses réserves, et il suffit de parcourir son commentaire pour s’en convaincre. Mais ces réserves mêmes ne font que marquer plus profondément l’adhésion momentanée de Diderot aux propositions essentielles de Shaftesbury, à savoir qu’il n’y a point de vertu sans la croyance en Dieu et point de bonheur sans vertu. Pour Diderot, comme pour Shaftesbury, « des athées qui se piquent