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DIDEROT.


le chemin est long, beaucoup plus long qu’on ne pense. Diderot passe des heures innombrables à faire les cent pas sur cette route, tantôt se grisant de la poésie panthéiste qu’il a résumée dans l’éloquente formule : « Élargissez Dieu ! » ; tantôt, après avoir découvert Dieu partout, ne voulant plus le voir nulle part ; tantôt déclamant avec une même fureur meurtrière contre le Dieu des religions révélées et contre celui de Voltaire ; et ainsi, successivement, avec une égale sincérité, déiste, théophobe et athée. À dîner ou à souper au Grandval, après quelques volailles truffées et quelques grandes rasades de vin, il défie « Briochet le père » avec une joie féroce, se grandissant devant lui-même de l’audace de ses négations, défiant le tonnerre vengeur avec une insolence enfantine et, déjà échauffé par le festin, excité encore par la crainte de ne point paraître à son amphitryon — car il y a du démagogue en lui et je le définirais plus d’une fois le démagogue de la philosophie — un esprit assez avancé et assez fort. Il était ainsi du fameux repas où, à ce propos de Hume : « Pour les athées, je ne crois pas qu’il en existe, je n’en ai jamais vu ! » le baron d’Holbach avait riposté superbement : « Vous avez été un peu malheureux, car vous voici à table avec dix-sept à la fois ». Mais peu de jours après, comme il se promenait dans un champ avec Grimm, il cueillait un épi et un bleuet et méditait profondément : « Que faites-vous là ? lui dit Grimm. — J’écoute. — Qui est-ce qui vous parle ? — Dieu. — Eh bien ? — C’est de l’hébreu ; le