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DENIS DIDEROT.


mière femme, jure qu’il n’y a plus de bonheur pour lui dans la vie : « Sortez de chez vous, courez après les malheureux, soulagez-les et vous vous plaindrez après de votre sort si vous l’osez ! » et il écrit à Mme Necker : « C’est moi, je ne suis pas mort et, quand je serai mort, je crois que les plaintes des malheureux remueraient mes cendres au fond du tombeau. » Il est juste, fanatique d’équité, « ne peut souffrir ces balances où les actions d’autrui pèsent comme du plomb et où les nôtres sont légères comme des plumes ». Dans sa jeunesse affamée, au contact des pauvres diables qui végétaient comme lui-même d’occasions et d’expédients, il a appris la sainte indulgence et ne la point désapprise aux jours de bonheur. Ayant connu la misère, il ignore les cruautés vertueuses, les rigorismes pédants des hommes toujours heureux. Pour M. le président de Montesquieu, le neveu de Rameau n’est qu’un drôle ; il saura, lui, découvrir une âme sous sa laide écorce. Il n’est jamais plus joyeux que d’avoir rendu service ; l’ingratitude lui donne en vain ses leçons : « il n’en profitera pas et restera bon et bête comme Dieu l’a fait ». Critique, il loue avec plus de plaisir qu’il ne blâme, admire copieusement ; « la jalousie des talents est un vice qui lui est étranger ; » il voudrait savoir à quelle école « l’on apprendrait à voir le bien et à fermer les yeux sur le mal » ; le reproche le plus vif qu’il adresse à Voltaire est d’en vouloir à tous les piédestaux ; il est toujours prêt à les rehausser : « Tu remues le sable d’un fleuve qui