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DIDEROT.


de répit, il court au théâtre ; mais, par bonheur, il ne se contente pas d’y poursuivre son rêve d’auteur : il y exerce aussi, sur toutes les formes de l’art dramatique, sa critique qui n’a été nulle part plus pénétrante. Par les articles sur les pièces du jour qu’il rédigeait pour la correspondance de Grimm, il est ainsi l’un des ancêtres du feuilleton moderne ; il est des premiers qui aient compris Shakespeare ; il n’en fait pas un dieu, mais il ne le dégrade pas, comme Voltaire, au rang des sauvages ivres : « Cet Anglais n’est à comparer ni à l’Apollon du Belvédère, ni à l’Antinoüs, ni au Gladiateur, mais bien au saint Christophe de Notre-Dame, colosse informe, grossièrement sculpté, mais entre les jambes duquel nous passerions tous. » Et comme il devine Shakespeare, il pressent Wagner : « Il est absurde, écrit-il, de faire jouer à des violons des ariettes vives et des sonates de mouvement, tandis que les esprits sont imbus qu’un prince est sur le point de perdre sa maîtresse, son trône et sa vie. » Très nettement, il recommande de faire de l’Opéra un drame musical ; il trace à son siècle, entre autres besognes, celle d’« introduire la tragédie réelle sur le théâtre lyrique » ; avant pris parti, dans la grande querelle entre le Coin de la Reine et le Coin du Roi, pour la musique italienne, il tient que « l’accent est la pépinière de la mélodie » et que « la ligne de la mélodie doit coïncider, par suite, avec celle de la déclamation ». Il connaît ainsi tout du théâtre et il en aime tout ; et, comme il a médité longuement sur le