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THÉÂTRE.


triomphé, ce n’est pas l’entretien avec Dorval qui a ouvert la brèche ni même les lettres à Grimm sur la poésie dramatique ; c’est Rosalie et M. d’Orbesson.

« Le hasard et, plus encore, les besoins de la vie disposent de nous à leur gré. Qui le sait mieux que moi ? C’est la raison pour laquelle, pendant environ trente ans de suite, j’ai fait l’Encyclopédie contre mon goût et n’ai fait que deux pièces de théâtre. » Il est évidemment heureux que Diderot n’ait pas eu les rentes qui l’eussent dispensé d’entreprendre l’Encyclopédie, la vie étant ainsi faite que, souvent, ce qui nous sert le mieux et qui sera pour nous la cause directe du bonheur ou de la gloire, nous ait paru d’abord, dans notre ignorance et notre myopie, comme la plaie et le malheur de notre existence. Mais cette vérité échappa toujours au philosophe ; il s’obstina à croire qu’il avait manqué sa vocation. Les éditeurs qui ont vidé ses tiroirs les ont trouvés pleins d’ébauches et de canevas de pièces : une tragédie romaine, un drame anglais bourré de meurtres et de rapts, prototype informe de nos drames du boulevard, une fable idyllique, à la manière de Gessner, qui recule les bornes de la niaiserie, une comédie libertine où il esquisse Faublas, une autre comédie enfin. Est-il bon ? est-il méchant ? dans le genre de Dufresny, où il se met assez plaisamment en scène sous les espèces d’un Scapin-philanthrope et qui seule, par la vivacité d’une allure à la Beaumarchais, mériterait de prendre place au répertoire. Dès que Diderot a un instant