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DIDEROT.


tous les jours, n’ont-ils pas été les premiers à célébrer devant un public de roturiers ses douleurs et ses amours ? Aussi bien la grande majorité des contemporains ne vit-elle que la nouveauté hardie de l’entreprise qui enlevait aux rois et aux nobles le monopole des émotions de la scène ; quand Voltaire lui-même admirait le Père de famille comme un ouvrage « tendre et vertueux », les défauts qui ont tué ces comédies sérieuses échappaient aux meilleurs juges qui protestaient seulement qu’il était trop facile et de faire décider des caractères par les situations et de faire passer la condition du dernier rang au premier ; le public s’était précipité au spectacle de Diderot comme à une première escarmouche de la Révolution. Autant de mouchoirs tirés que de spectateurs ; les femmes se trouvent mal d’émotion ; Marmontel pleure, Grimm exulte, Duclos pousse des cris de joie, Beaumarchais découvre son propre génie ; Mme Diderot elle-même, « sentant l’indécence qu’il y avait à répondre à tous ceux qui lui faisaient compliment, qu’elle n’y avait pas été », se résigne à aller applaudir son mari ; ce fut tout le temps « un tumulte et un monde épouvantable ». Même succès d’ailleurs à l’étranger, en Italie où le roi de Naples donne le signal des larmes, en Allemagne où Lessing avouera que, « sans les leçons et les exemples de Diderot, son goût aurait pris une autre direction », et qu’il n’aurait pas écrit la Dramaturgie. Le Père de famille et le Fils naturel sont morts, mais de leur victoire ; si le genre nouveau a