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THÉÂTRE.


pour toi !… » ou celui-ci d’un père qui cherche à connaître le secret amoureux de sa fille : « Comment blâmerais-je en vous les sentiments que je fis naître dans le cœur de votre mère ? »

Il est heureux pourtant que Diderot soit tombé dans le piège. Un méchant tableau, mais qui donne franchement une note nouvelle, fait plus que dix volumes d’esthétique pour sortir la peinture de certaines routines ; il n’en a pas été autrement des drames bourgeois de Diderot. « Zenon niait la réalité du mouvement ; pour toute réponse, Diogène se mit à marcher ; et quand il n’aurait fait que boiter, il eût toujours répondu ! » Diderot, lui aussi, n’a fait que boiter, mais boitant, il a répondu quand même à Campistron. Et que les Lysimond, les Clairville et les Saint-Albin n’aient point réalisé du premier coup l’idéal de la nouvelle poétique, cela n’est pas douteux ; mais, tout indécis qu’ils soient encore dans leur primitive ébauche, le Père de famille et le Fils naturel n’en sont pas moins des ancêtres, et l’innombrable lignée qui remplit le théâtre contemporain, Antoinette Poirier et Denise, Sergines et Mme Caverlet, Olympe et Séraphine, d’Estrigaud et Mme Aubray, ne descendent pas d’une autre souche. Sur une scène où le décor des appartements familiers a remplacé les colonnades des palais et des temples, n’ont-ils pas été les premiers à raconter en prose des passions simplement terrestres où la colère et la vengeance des cieux ne sont pour rien ? Vêtus comme les spectateurs eux-mêmes et se mouvant dans la vie de