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DIDEROT.


du vice, comme les moutons enrubannés de Scudéry ou de Florian font désirer le loup. Quand la sultane Mirzoza fait la critique de la tragédie classique, elle dit joliment : « C’est en vain que l’auteur cherche à se dérober ; mes yeux percent et je l’aperçois sans cesse derrière ses personnages qui sont à tous les moments ses sarbacanes ; ce n’est pas ainsi qu’on s’entretenait chez nos anciens Sarrasins, » Que Mirzoza n’a-t-elle assisté aux représentations de Diderot ! L’auteur du Père de famille ne cherche même pas à se dérober ; Lysimond, Germeuil et Clairville ne sont, eux aussi, que des sarbacanes, mais qui ne jettent que des platitudes. Et quel style ! L’alexandrin le plus ampoulé est plus proche de la vérité que cette prose à la fois vulgaire et prétentieuse. Après avoir proclamé à son de trompe que la nature lui a donné le goût de la simplicité, il appelle une mansarde « l’asile écarté qui cache la bien-aimée aux yeux des hommes » ; l’on se salue tout le temps d’homme cruel, de femme vertueuse et de père barbare. Et je veux bien qu’un roi qui éveille son valet de chambre ne lui dise pas :


Viens, reconnais la voix qui frappe ton oreille !


mais écoutez ce langage d’un amant : « Sortez de mon esprit, éloignez-vous de mon cœur, illusions honteuses ! Vertu, douce et cruelle idée ! chers et barbares devoirs ! Amitié qui m’enchaîne et me déchire ! Ô vertu, n’ai-je point encore assez fait