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DIDEROT.

Le piège le plus fâcheux que l’amour-propre puisse tendre au critique, c’est de lui murmurer à l’oreille : Appuie les thèses par la pratique. C’est ce piège où Diderot est tombé. Il a cru être « l’homme de génie qui, sentant l’impossibilité d’atteindre ceux qui l’ont précédé dans une route battue, se jettera de dépit dans une autre ». Critique d’art, il avait la manie de refaire les tableaux et les statues dont il parlait ; mais ce n’était que sur le papier et il laissait l’ébauchoir et le pinceau à ceux qui avaient appris à les manier. Critique de théâtre, il n’a pas eu la même prudence, bien que l’optique de la scène soit une perspective qu’il n’est pas moins difficile d’apprendre ; l’abbé Arnaud lui disait en vain : « Vous avez l’inverse du talent de l’auteur dramatique ; il doit se transformer dans les personnages, et vous les transformez en vous. »

Les tableaux de Diderot, s’il avait eu la témérité de prêcher d’exemple sans aller à l’école, eussent été pareils aux dessins que les enfants charbonnent sur les murs ; ses comédies sérieuses et ses drames bourgeois y font songer. Devant l’infirmité de ces ébauches qui devaient être le tableau fidèle des hommes, la sévérité la plus hostile est désarmée. Aucun soupçon d’observation, de psychologie. Absorbé par les idées et noyé dans un verbiage bouillonnant, Diderot ignore les hommes ; ses personnages ne sont même pas des pantins, mais des abstractions creuses que le matérialisme d’une pantomime puérile et des indications scéniques multipliées à l’excès