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THÉÂTRE.


réservée aux grands et aux rois, seuls dignes d’émouvoir le public au récit de leurs aventures, d’inspirer la pitié ou l’horreur ; l’autre, la comédie, où tous les ridicules étaient bourgeois et tous les vices étaient peuple ; Diderot culbute la cloison. Et Voltaire lui-même aura beau protester, avec une moue d’aristocrate, « qu’il peut arriver des aventures très funestes à de simples citoyens, mais que cependant elles sont bien moins attachantes que celles des souverains dont le sort entraîne celui des nations » ; Diderot, plus enflammé que jamais, continue à appeler sur la scène tragique, à côté des princes et des nobles, seuls privilégiés jusqu’alors pour les belles souffrances du théâtre comme pour les biens du monde, le tiers état relégué, depuis des siècles, dans les bas-fonds de la comédie et de la farce. Aujourd’hui, plus de genres tranchés à la scène ; demain, dans l’ordre social, plus de classes.

La première fois qu’il rencontra Diderot chez le maréchal de Luxembourg, le marquis de Mirabeau déclara, avec un effroi joyeux, qu’« il l’avait déjà vu parmi ceux qui tenaient le haut du temple, lors du dernier siège de Jérusalem », et, dans la rébellion de Naples, « Masaniello tout craché ». En effet, l’instinct de toutes les révoltes est en lui, et, quelque sujet qu’il agite, il sort toujours de son siècle le corps tendu et comme précipité vers l’avenir. Ici encore, révolutionnaire éclos d’un esthéticien, il reçoit en plein visage les premiers rayons du jour nouveau. Et l’on peut contester tous les chaî-