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DENIS DIDEROT.


ce qui sera, et comme il est né orateur, il grandit de son ample parole intarissable tout ce qu’il entrevoit comme tout ce qu’il décrit. Sa pente naturelle est vers toute liberté, vers tout ce qui affranchit. S’il a poursuivi de tant d’âpres invectives les tyrannies et les religions, ce n’est point seulement pour le mal qu’elles ont fait ou qu’elles font encore autour de lui, mais parce qu’elles sont des règles, et que toute règle, tout obstacle oppriment et gênent sa frénésie d’indépendance. Qu’il s’agisse de morale ou de politique, du théâtre classique ou de la métaphysique orthodoxe, il est l’ennemi né de tous les parapets et de toutes les lois. C’est une force de la nature, mais une force débridée et sans frein. Prenez de tous points, pour avoir son portrait bien exact, le contre-pied de celui qu’il a fait de La Harpe : « C’est une tête froide ; il a des pensées, il a de l’oreille, mais point d’entrailles, point d’âme ; il coule, mais il ne bouillonne pas ; il n’arrache point les rives et il n’entraîne avec lui ni les arbres, ni les hommes, ni leurs habitations. « Il est, lui, une tête toujours brûlante, une âme toujours enflammée ; il a plus de sensations que de pensées ; il ne coule pas, il se précipite, emportant tout dans son tourbillon, torrent qui aurait la largeur d’un fleuve et dont l’état normal serait l’inondation furieuse.

Il déborde ainsi, et perpétuellement, hors de son sujet, hors de lui-même, hors de son siècle ; et cet avenir, que d’autres prévoient à peine, il y