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DIDEROT.


peinture, et qu’il n’est même point dans son genre ce que Crébillon fils est dans le sien, qu’il est un faux bon peintre comme on est un faux bel-esprit et qu’il a surmonté comme pas un les difficultés de la peinture. Aucun système, aucune idée préconçue ; il vous raconte ses impressions successives. Sa première impression devant tel tableau du même Boucher, c’est que le peintre abuse du détail ; il s’en explique avec sa véhémence ordinaire : « Quand on écrit, faut-il tout écrire ? Quand on peint, faut-il tout peindre ? De grâce, laissez quelque chose à suppléer pour mon imagination ! » Mais qu’au moment même où il disserte avec le plus de sévérité, le charme du peintre opère, il ne s’en défend ni s’en cache : « Quel tapage d’objets disparates ! On en sent toute l’absurdité : avec tout cela, on ne saurait quitter le tableau. Il vous attache, on y revient : c’est une vue si agréable ! » Savoir admirer, n’en point rougir, est la qualité la plus rare du critique ; c’est la sienne et, naturellement, il l’exagère : il crie tout suite : « Beau ! sublime ! divin ! je verse mille pleurs ! » et se complaît dans ces effusions : « La sotte occupation que celle de nous empêcher sans cesse de prendre du plaisir ou de nous faire rougir de celui que nous avons pris ! » Au début de ses promenades artistiques, il a porté la même violence dans le blâme et s’écriait à chaque instant : « À effacer avec la langue ! Hors le Salon ! Au pont Notre-Dame ! » À mesure seulement qu’il a pénétré les difficultés du métier, il est devenu plus indulgent : « De la douceur, lui a dit un jour