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LES SALONS.


sur les artistes et sur leurs œuvres ? On l’a fait vingt fois, mais à quoi bon ? Si je dis d’un critique qu’il est plein de sens et de goût, cela signifie surtout que je vois les choses et que je les apprécie comme lui. Quand Diderot écrit qu’« il donnerait dix Watteau pour un Téniers », vous qui avez aimé aux bords fleuris de l’Île Enchantée et rêvé à l’infini de son ciel, vous protestez, mais quel collectionneur flamand n’applaudira pas ? Quand il devine David et célèbre La Tour, si j’admire la sûreté de son jugement, c’est que je le partage. Autant de natures d’esprit, autant de goûts divers ; autant de couches sociales, autant de manières de voir et de sentir. « Ce que nous aimons le moins de Greuze, a écrit un contemporain, était justement ce qui touchait le plus Diderot : le drame sentimental et domestique. » Nous, combien sommes-nous ? Sur cinq mille visiteurs qui iront dimanche au Louvre, vous compterez sur les doigts de la main ceux qui ne pensent pas aujourd’hui encore comme Diderot. Et qu’est-ce enfin qu’un jugement ratifié par la postérité ? Carrache et Guide ont trôné pendant deux siècles à côté de Raphaël : où sont-ils descendus aujourd’hui ? Mais qui peut dire qu’ils ne remonteront pas demain ?

Aussi bien, à cause de sa sincérité même et de sa spontanéité, rien de plus capricieux que les jugements de Diderot : au Salon, comme ailleurs, il reste l’homme de toutes les contradictions qu’il développe avec la même fougue et le même éclat. Il dira ainsi alternativement de Boucher qu’il est l’Arioste de la