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DIDEROT.


l’esprit. Le sentiment plastique, en résumé, lui fait défaut, cette sensation physique et, pour ainsi dire, mécanique, dont l’artiste vrai est ému en présence d’une belle œuvre d’art, sensation pure comme la matière elle-même et que l’esprit seul peut troubler et vicier. — Et puis Diderot, jusqu’à son voyage en Russie, n’a jamais quitté Paris que pour Bourbonne et Langres ; il ne connaît ni l’Italie ni la Grèce, il n’a qu’une idée vague de la Renaissance ; il a vu trop peu de chefs-d’œuvre, son éducation artistique est par trop incomplète : il n’a pas salué, dans son sanctuaire même, la Beauté. Lui-même d’ailleurs en convient, pleure de n’avoir point fait le voyage aux pays de lumière « où son âme se serait ouverte sans réserve, eût versé toutes ces pensées retenues, tous ces sentiments secrets, tous ces mystères de la vie dont l’honnêteté scrupuleuse interdit la confidence à l’amitié même la plus intime et la plus réservée ». Il n’a pu que deviner, il n’a fait qu’entrevoir à l’horizon la Terre Promise. — Lisez les pages où il a esquissé cette histoire délicate et charmante, la formation de l’idéal de beauté chez les anciens ; toute l’invocation encore à la « ligne vraie ». — Mais quoi ! il ne lui a pas été donné de faire le voyage révélateur, de pénétrer dans le temple dont, tristement, il n’a pu qu’indiquer le chemin à ses héritiers, plus heureux que lui. « Connaît-on Virgile et Homère quand on a lu Desfontaines et Bitaubé ? » Il n’avait lu que Bitaubé.

Faut-il essayer maintenant de juger ses jugements