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DIDEROT.


sa jolie voisine, Mlle Babuti, et que, dévorant des yeux sa provocante beauté, il la harcelait d’impudentes questions. De cette prime jeunesse tumultueuse aux confins de sa vieillesse, c’est le même air vif, ardent et fou qu’il ne cesse point de porter autour de lui, passionné et s’émouvant de tout. Rien ne lui a jamais été indifférent. Également épris de mathématiques et de peinture, de physique et de théâtre, de philosophie et de mécanique, il a voulu s’instruire de tout, et, ayant pénétré par effraction dans presque toutes les sciences, il a, presque partout, enfoncé quelque porte sur l’avenir. D’autres, avant lui, avaient conçu le plan d’un répertoire de toutes les connaissances humaines, et d’autres que lui eussent pu mener à bon port l’Encyclopédie ; mais il est certainement « l’esprit le plus synthétique qui ait surgi depuis Aristote ». Une curiosité fiévreuse le pousse, bousculant les routines, à la poursuite de tous les progrès. Ne cherchez pas à l’arrêter, vous l’exciterez : « Je suis sûr, écrit-il, que lorsque Polygnote de Thasos et Micon d’Athènes quittèrent le camaïeu et se mirent à peindre avec quatre couleurs, les anciens admirateurs de la peinture traitèrent leurs tentatives de libertinage. » Ce libertinage est le fond et le tréfonds de sa nature. Sa poésie, éperonnée de science, saute par-dessus les obstacles ; il a rêvé ou deviné les plus extraordinaires découvertes de notre siècle, le transformisme comme le télégraphe. Tout ce qui a un caractère de grandeur l’entraîne, toute nouveauté l’attire ; il aime tout