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DIDEROT.


à quoi ? Diderot explique lui-même comme il l’entend. Un tableau d’Hubert Robert représente des ruines, une rotonde, un obélisque, une fontaine et des marchandes d’herbes sous les arcades d’une grande fabrique. « Pourquoi, demande le philosophe, pourquoi ne lit-on pas, en matière d’enseigne, au-dessus de ces marchandes d’herbes : Divo Augusto, divo Neroni ? Pourquoi n’avoir pas gravé sur cet obélisque : Trigesies centenis millibus hominum cæsis, Pompeius ? » Et, sans laisser au pauvre Robert le temps de répondre qu’il a simplement cherché à rendre un coin de paysage, à l’éclairer de son mieux, à bien échelonner ses plans et ses personnages :


Cette dernière inscription, s’écrie Diderot, réveillerait en moi l’horreur que je dois à un monstre qui se fait gloire d’avoir égorgé trois millions d’hommes. Ces ruines me parleraient. Je m’entretiendrais de la vanité des choses de ce monde, si je lisais au-dessus de la tête d’une marchande d’herbes : Au divin Auguste, au divin Néron, et de la bassesse des hommes qui ont pu diviniser ce lâche proscripteur, ce tigre couronné. Voyez le beau champ ouvert aux peintres de ruines, s’ils s’avisaient d’avoir des idées.


Ainsi, ce que ces mots : faire penser, signifient pour lui, quand il les applique à la peinture, c’est que le tableau doit prêter à déclamation ; ut declamatio fiat. Le paysage, bien ou mal éclairé, bien ou mal dessiné, offre-t-il ou non l’impression vague et triste des campagnes désolées et de la ruine ? Il faut d’abord que le tableau donne aux philosophes l’occasion « de déverser leur bile sur les dieux, les prêtres, les tyrans et tous les imposteurs du monde ».