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DIDEROT.


du portrait. Qu’est-ce qu’un beau portrait ? Les artistes disent que le mérite principal d’un portrait, c’est d’être « bien dessiné et bien peint ». Les hommes de lettres, les gens du monde répondent : « C’est une chose bien douce que de retrouver sur la toile l’image vraie de nos pères, de nos mères, de ceux qui ont été les bienfaiteurs de l’humanité. Entre deux portraits, l’un de Henri IV, mal peint, mais ressemblant, l’autre d’un faquin de concussionnaire ou d’un sot auteur peint à miracle, quel est celui que vous choisirez ? » Diderot hésite, puis, tout à coup faisant un grand pas vers la technique : « Il faut qu’un portrait soit ressemblant pour moi et bien peint pour la postérité. » Il croira longtemps que la peinture d’histoire est supérieure à toutes les autres, il parle couramment d’un peintre de portraits qui « s’élève à la peinture d’histoire ». Toutefois il se méfie déjà des « grandes machines » ; bientôt, avec son exagération familière, bannissant de la peinture le Parnasse et la Cène, il s’écriera : « La toile comme la salle à manger de Varron, jamais plus de neuf convives ! » — Il a, naturellement, le sens de la vie, de la chair blonde et rose, du sang qui circule sous l’épiderme : « Mille peintres sont morts sans avoir senti la chair ; mille autres mourront sans l’avoir sentie. » Il a surtout l’instinct de la couleur. Il fait la leçon à Hallé : « On dirait que vous avez barbouillé cette toile d’une tasse de glace aux pistaches. » Il décrit la magie de Chardin : « Ce sont des couches épaisses de couleurs appliquées les unes