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DIDEROT.


a un beau éternel, immuable, règle et modèle du beau subalterne, et que cette règle est également applicable à la nature, à la littérature et à l’art : c’est tout son puissant article de l’Encyclopédie où il appelle indistinctement « beau hors de lui » tout ce qui contient en soi de quoi réveiller dans son entendement l’idée de rapports, et « beau par rapport à lui » tout ce qui réveille cette idée. Mais alors même que cette conception serait bien la clef de l’esthétique, il ne s’ensuivrait pas qu’il suffirait d’avoir forgé cette clef pour savoir juger infailliblement. Or Diderot, s’il était, plus qu’aucun de ses contemporains, sensible à la beauté des lignes, à l’harmonie des formes et à la qualité des couleurs, l’était surtout à l’émotion littéraire qui se dégageait pour lui d’une statue ou d’un tableau. Il a l’intelligence trop ouverte pour ne pas se rendre compte, d’abord par accident, que les idées ne sont pas les formes. Il fait ainsi, devant le Saint Grégoire de Vien, cette hypothèse : « Supposez devant ce tableau un artiste et un homme de goût. Le beau tableau ! dira le peintre. La pauvre chose ! dira l’homme de lettres ; et ils auront raison tous les deux. » L’homme de lettres n’a point raison ; c’est déjà beaucoup, en plein xviiie siècle, que de donner demi-raison à l’artiste. Mais, neuf fois sur dix, Diderot regarde les œuvres d’art avec les yeux de l’homme de lettres et juge d’un tableau comme d’un roman ou d’une tragédie. Pour qu’une statue ou qu’un tableau lui plaise, il faut qu’il y trouve d’abord matière à litté-