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LES SALONS.


de ces discours étonnants où l’art, en effet, ne paraît souvent qu’un prétexte à philosopher, nous aurions eu une série d’études d’une science achevée, où les défauts et les qualités de l’art français eussent été mis en lumière avec une grande force de critique. Mais quel en eût été l’effet ? quelle en eût été l’action ? Mme Necker les eût lues évidemment, parce qu’elle lisait tout, mais, les ayant lues, eût-elle dit ensuite de Winckelmann ce qu’elle dira de Diderot, ce que la France entière a pu dire après elle : qu’il lui avait ouvert les yeux et qu’il avait donné pour elle aux tableaux le relief et la vie ? Pour amener ou ramener à l’art un pays qui n’était plus épris que des choses de l’esprit, il fallait ruser avec lui : comment ruser plus habilement qu’en le conduisant à la forme par l’esprit même ? Si le sens des beaux arts est devenu plus général en France que partout ailleurs, c’est un service que l’âme française doit à Diderot.

En faisant ainsi de la description des œuvres d’art un genre littéraire, Diderot a fait acte, plus ou moins consciemment, d’éducateur et de politique. Il n’en reste pas moins que l’art et la littérature ne se distinguent pas seulement comme moyen d’expression, mais bien plus encore comme principes — et Diderot ne l’a point nettement aperçu, — et qu’il y a plus de différence entre le domaine des formes, qui est celui de l’art, et le domaine des idées, qui est celui de la littérature, qu’entre un pinceau et une plume. Diderot, en effet, part de ce principe qu’il y