Page:Reinach - Diderot, 1894.djvu/121

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
113
LES SALONS.


elle-même. Ce n’est plus un tableau de genre : c’est l’anecdote, le roman même. Ce n’est plus un paysage : c’est la nature vibrante et frémissante de lumière, éclatant dans toute sa variété, sa splendeur ou son charme mélancolique. Tout cela, sans nul apprêt, d’une seule venue, d’une seule inspiration. Il a toujours marqué un goût particulier pour les esquisses : « Pourquoi une belle esquisse nous plaît-elle plus qu’un beau tableau ? C’est qu’il y a plus de vie et moins de formes. À mesure qu’on introduit les formes, la vie disparaît. » Les comptes rendus de Diderot, écrits d’une haleine, dans une fièvre de dix jours et d’autant de nuits, sont « des esquisses de descriptions ». Il y donne tout ce qu’il y a d’essentiel dans le tableau, mais il n’insiste sur rien. Voici les contours, mais indiqués d’un seul jet de plume ; voilà les couleurs, mais fraîches et légères comme sur l’ébauche même. Cette vivacité de touche, ce mouvement rapide qui emporte sa plume, rendent insensible la transition aux digressions les plus imprévues. L’anecdote jaillit de la narration, comme aux marges de la toile les fioritures et les arabesques où le pinceau se distrait, se repose ou s’exerce. Notre imagination excitée suit le philosophe partout où il lui plaît de la mener, et ne s’étonne de rien. L’œuvre d’art, qu’il a si scrupuleusement décrite, a éveillé en lui des idées, des souvenirs sans nombre. Il étoufferait s’il ne s’en délivrait. C’est alors une gerbe éblouissante de pensées, un feu d’artifice ininterrompu de paradoxes… « Sonate, que me

8