Page:Reinach - Diderot, 1894.djvu/120

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parfois un an après, il reproduisait le tableau dans toute sa vivante vérité. J’ai devant moi, en écrivant ces lignes, une ébauche sans signature achetée au hasard d’une vente. Lisant un jour le Salon de 1767, je tombe en arrêt sur cette page :


Hercule enfant, étouffant des serpents, au berceau. On voit à droite une suivante effrayée, puis Alcmène et son époux. Celui-ci saisit son enfant et l’enlève de son berceau. Dans le berceau voisin, le jeune Hercule, assis, tient par le cou un serpent de chaque main, et s’efforce des bras, du corps et du visage, de les étouffer. Sur le fond à gauche, au delà des berceaux, des femmes tremblent pour lui. Tout à fait à gauche, deux autres femmes debout : celles-ci sont assez tranquilles. De ces deux femmes, celle qu’on voit par le dos montre le ciel de la main et semble dire à sa compagne : « Voilà le fils de Jupiter ». Du même côté, colonnes. Dans l’entre-colonnement, grand rideau qui, relevé par le plafond, vient faire un dais au-dessus des berceaux. Beau sujet, digne d’un Raphaël. Cette esquisse est fortement coloriée, mais sans finesse de tons. Je ne dis pas que Taraval vaille mieux que Fragonard…


C’était mon tableau, décrit avec une précision de greffier, l’esquisse de Taraval. Les couleurs ont pâli, mais sans perdre de leur vigueur ; les tons ne sont pas devenus plus fins, mais se sont fondus dans une harmonie dorée. Les deux cents autres numéros du Salon ne sont pas moins fidèlement racontés. Vérifiez pour les Greuze et les Vernet du Louvre : la description en est toujours mathématiquement exacte. Seulement, avec cette faculté d’évocation qui fait la magie de son style, tout en détaillant l’œuvre qu’il étudie, il l’anime, la met en relief. Ce n’est plus un tableau d’histoire : c’est la scène d’histoire