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DIDEROT.


dons à la lecture sont très diverses : un beau livre, qui distrait des plus amers chagrins, repose l’âme ou l’élève, la berce ou l’excite, la passionne ou la charme, la déride ou la fortifie. Mais la lecture la plus attrayante, qui ne préjuge pas d’ailleurs de la valeur de l’ouvrage, est celle qui nous met en communication directe avec l’auteur, nous fait voir, sentir et vivre avec lui. La correspondance de Cicéron, celle de Mme de Sévigné et celle de Voltaire, les Essais de Montaigne donnent cette intimité délicieuse ; la lettre morte s’anime ; au travail mécanique des yeux se substitue peu à peu comme une conversation avec l’écrivain lui-même : vous ne lisez plus, vous écoutez ; la distance des siècles s’efface ; il est là, près de vous, devant vous ; il vous parle : un peu plus vous le voyez ; un peu plus, vous discuterez avec lui.

Les Salons sont de la famille : quels qu’en soient les défauts, et peut-être même un peu à cause de ces défauts, ils évoquent Diderot et non point un fantôme, mais bien le philosophe en chair et en os, tel que le vit le jeune Garat le matin où il s’introduisit chez lui pour saisir sur le vif son grand voisin : « Il se lève, ses yeux se fixant sur moi, peu à peu sa voix devient distincte et sonore ; il était d’abord presque immobile, ses gestes deviennent fréquents et animés. » L’extraordinaire monologue, coupé à peine par quelques questions, roule sur tout :