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DIDEROT.


cats n’aimaient la peinture qu’en poésie, comme un sixième sens, et les fit entrer dans le domaine des formes et des couleurs par les idées[1]. Le genre, tel qu’il l’a créé, s’est modifié. Le mouvement qu’il a donné à l’esprit français dure encore.

Grimm, qui avait pris en 1754 la direction de la Correspondance littéraire, y avait rédigé lui-même, au début, les nouvelles artistiques ; il offrit à Diderot, en 1759, de lui confier le compte rendu des Salons, qui étaient alors bisannuels. Le philosophe rôdait autour de cette besogne supplémentaire, bien qu’il parût ne l’avoir acceptée que pour rendre service à son ami. Comme il s’était lié, pendant les fécondes années de sa vie de bohème, à quantité de peintres et de sculpteurs dont les ateliers n’avaient point de visiteur plus assidu et plus curieux que lui, il était heureux de fixer sur le papier les idées qu’il y avait cueillies au vol et qui bourdonnaient dans sa tête. Grimm, qui n’était ni un penseur profond ni un brillant écrivain, était, avec un esprit d’une singulière netteté, le plus habile des impresarii, un admirable directeur de journal. Il savait, comme pas un, découvrir les talents, les diriger dans leur voie, les employer au mieux de leurs intérêts et des siens. Il aperçut le parti qu’il pourrait

  1. « Je n’avais jamais vu dans les tableaux que des couleurs plates et inanimées : c’est presque un nouveau sens que je dois à son génie. » (Mme Necker.) « Diderot a fait entrer les Français dans la couleur par les idées. » (Sainte-Beuve, Causeries du lundi. III. 15.)