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ROMANS ET SATIRES.


pas d’autre ambition que de faire bonne chère sans travailler autrement que de son métier de parasite : « Combien de fois je me suis dit : comment, Rameau, il y a dix mille bonnes tables à Paris, à quinze ou vingt couverts chacune, et de ces couverts-là il n’y en a pas un pour toi ! » Pour être assis devant l’un de ces couverts, même avec défense de parler, il n’est point de vilenie à laquelle il ne soit prêt ; il mime la scène, déjà jouée plus d’une fois, où il va séduire une jeune boutiquière pour le compte d’un riche amphitryon. Il n’y a pas jusqu’à la pantomime de la dégustation qui ne se retrouve dans Diderot : « Puis, avec l’air d’un homme touché qui nage dans la joie et qui en a les yeux humides, il ajoutait en se frottant les mains : « Tu aurais une bonne maison — il en mesurait l’étendue avec ses bras, — un bon lit — et il s’y étendait nonchalamment, — de bons vins — qu’il goûtait en faisant claquer la langue. » Piron encore, après Mercier, dans une lettre à son ami Cazotte[1], ajoute son témoignage :


D’ici, je le vois là, ne disant jamais ce qu’il devait dire, ni ce qu’on eût voulu qu’il eût dit, toujours ce que ni lui ni vous ne vous étiez attendu qu’il dirait… Je le vois cabrioler à contretemps, prendre ensuite un profond sérieux, encore plus mal à propos, passer de la haute-contre à la basse-taille, de la polissonnerie aux maximes, fouler au pied les riches et les grands, et pleurer de misère ; se moquer de son oncle et se

  1. Lettre du 22 octobre 1764, communiquée par l’expert Gabriel Charavay à M. Gustave Isambert et publiée par ce dernier dans sa notice sur Rameau le neveu.