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DIDEROT.


s’est intéressé à ce gueux et lui a même prêté quelques écus. Ce jour-là, le neveu de Rameau, en veine de confession, est particulièrement en verve ; et le soir, rentré chez lui, Diderot rédige sa conversation d’une haleine, prêtant certes à son héros quelque chose et même beaucoup de ses propres vues, mais occupé surtout, en artiste qu’il est, à retracer un portrait fidèle de l’extraordinaire individu dont le « diable de ramage saugrenu » l’a si vivement intéressé.

Et je comprendrais que l’on contestât cette interprétation si ce petit-fils de Panurge était, comme Jacques par exemple, ou comme Dorval, un personnage de convention, sarbacane quelconque que Diderot aurait chargée d’idées jusqu’à la gueule. Mais Jean-François Rameau a existé en chair et en os, nous avons sur les hauts faits de ce drôle les renseignements les plus circonstanciés, et Mercier, dans son Tableau de Paris, ne l’a pas décrit différemment, en son style de greffier, que Diderot dans la prestigieuse prose de son dialogue :


Il réduisait à la mastication, écrit Mercier, tous les prodiges de la valeur, toutes les opérations du génie, tous les dévouements de l’héroïsme, enfin tout ce qu’on faisait de grand dans le monde. Selon lui, tout cela n’avait d’autre but ni d’autre résultat que de placer quelque chose sous la dent. Il prêchait cette doctrine avec un geste expressif et un mouvement de mâchoire très pittoresque.


Pareillement, Rameau, dans le dialogue, n’arrête pas de répéter qu’il lui faut « un bon lit, une bonne table ! » et que le reste n’est rien ; il ne se connaît