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DIDEROT.


et la force de la satire provient précisément de ce que Rameau-le-Neveu n’a rien de symbolique. Sans doute, en écrivant cet étonnant dialogue, en éclairant cette farce-tragédie de toute la magie de son style qui n’est nulle part plus effronté ni plus coloré, Diderot ne s’est pas proposé que de conserver la physionomie du singulier parasite, « composé de hauteur et de bassesse, de bon sens et de raison ». âme de boue avec des éclairs de génie, qui était l’un des personnages les plus bizarres « d’un pays où Dieu n’en a pas laissé manquer », et méritait d’avoir sa place dans la zoologie de l’homme. Usant du droit incontestable qui appartient à l’artiste dans toute œuvre qui n’est pas d’histoire ou de science, il s’est servi de Rameau pour exercer contre Palissot, qui venait de donner sa comédie des Philosophes, de légitimes représailles, pour frapper du même coup les autres ennemis de l’Encyclopédie et pour prendre position contre la musique française dans sa querelle avec la musique italienne. Mais que cet « archi-fou », à la fois proxénète et moraliste, voleur et bon diable, bouffon et musicien, qu’il méprisait et qui l’amusait, doive être considéré, non pas comme l’interlocuteur du philosophe, mais comme son porte-parole et le traducteur juré de sa pensée, les commentateurs ont eu beau s’exercer sur ce thème : il est un contresens. Il est certain que les écrivains, comme les artistes, mettent souvent dans leurs œuvres autre chose encore que ce qu’ils avaient sous la plume ou sous le pinceau ; c’est qu’ils