Page:Reinach - Diderot, 1894.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
95
ROMANS ET SATIRES.


Cardière[1], est plus naturel et plus vif. — Ces deux nouvelles, et les Amis de Bourbonne, récits familiers et simples d’événements vrais, chefs-d’œuvre de narration et d’émotion, sont des perles fines dans la vitrine où reluit trop de clinquant. — Quant à l’histoire proprement dite de Jacques et de son maître, on ne s’étonne pas que Gœthe ait trouvé plaisir à ce plat « curieusement préparé » ; les ingrédients de ce ragoût à la diable étaient presque tous nouveaux ; « les morceaux étaient hétérogènes, mais ils étaient tous pris dans la réalité » ; et cela seul, après tant d’années d’une littérature artificielle et factice, était déjà savoureux. Il y a dans Jacques l’odeur de la vie ; seulement, cette odeur y est trop souvent nauséabonde. On comprend que les plus délicats aient fini par être saturés des parfums de Paphos et de Gnide, mais vraiment les deux voyageurs de Diderot, le valet philosophe et son maître, s’arrêtent trop souvent sur les fumiers. Une odeur sale vous poursuit ainsi tout le long de la route où Jacques, son maître et quelques comparses devisent de toutes choses — c’est tout le roman, — et racontent des anecdotes. De là un invincible malaise qui fait oublier ou méconnaître et les cascades du dialogue, tant de vues ingénieuses ou profondes sur la fatalité inéluctable des choses et l’enchaînement des causes et des effets, l’amusant enchevêtrement des contes et des

  1. Sur l’inconséquence du jugement public de nos actions particulières.