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DIDEROT.


convient, à sa conscience d’anatomiste de la société. Récusez le sujet, soit : vous privez l’histoire d’un document sans prix. Mais si vous l’admettez, convenez que le pinceau de l’auteur ne se complaît pas une minute aux infamies qu’il dénonce, qu’il les déteste, qu’il en inspire l’horreur, et qu’il est entre ses mains comme un scalpel. La science moderne n’en a pas connu de plus pénétrant et de plus utile.

Jacques le Fataliste est postérieur de treize ans à la Religieuse. Si Sterne n’avait pas écrit Tristram Shandy, il paraît probable que Jacques n’aurait jamais rencontré son maître et qu’ils n’eussent pas entrepris leur voyage. N’était l’épisode de Mme de la Pommeraye et du marquis des Arcis, il n’y aurait eu à cela que demi-mal ; encore a-t-on trop vanté cette histoire d’une femme du monde qui se venge de l’amant infidèle en lui faisant épouser une drôlesse qu’il croit un ange de vertu. L’invention en serait dramatique s’il n’était permis de supposer que l’aventure n’a pas été imaginée et que Diderot a raconté une vengeance véritable dont il ne serait pas impossible de retrouver les personnages ; le récit en est intéressant, d’une simplicité puissante, avec deux ou trois vignettes qui se gravent dans la mémoire, mais il y a plus de pathétique et d’observation profonde dans l’admirable anecdote de Mlle de la Chaux[1], et le style, dans celle de Desroches et de Mme de la

  1. Ceci n’est pas un conte.