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ROMANS ET SATIRES.


lissantes, cette privation systématique de nourriture, cette cellule, dont les vitres ont été brisées exprès, transformée en glacière, cette bière où l’infortunée est enfermée pendant de longues heures, enveloppée d’un suaire, tandis que la communauté récite sur elle les prières des agonisants, ces verres cassés qu’on sème la nuit sous ses pieds nus, cette pincette rouge qu’on la force à ramasser et qui lui emporte toute la peau du dedans de la main, cette ordure où on la condamne à croupir, ces pointes aiguës dont on la pique, ces cordes dont on garrotte ses bras, bientôt tout violets du sang qui ne circule plus, tout cela est vu, vécu, senti, souffert, tout cela a vraiment été, rien de cela n’a été inventé. Voilà pour le couvent de Longchamp, et les turpitudes de celui d’Arpajon ne portent pas moins vivement avec elles l’empreinte de la vérité ; mais comment les dire, et cependant comment ne pas rappeler au moins d’un mot la scène grandiose de la confession quand la supérieure infâme, s’effondrant après un long silence, éclate dans ces mots qui donnent le frisson : « Mon père, je suis damnée » ?

Plusieurs n’ont vu dans la Religieuse qu’un livre licencieux. Je dirais volontiers que c’est le seul livre auquel Diderot ait cherché à donner une conclusion morale. Partout ailleurs, c’est avec plaisir et pour le seul plaisir d’être graveleux qu’il a cherché et étalé la fange humaine ; ici au contraire, s’il montre le vice dans toute sa laideur et toute sa folie, c’est pour en donner la haine et pour obéir, comme il