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sont innombrables. Alexandre III, un des papes les plus avisés du Moyen Age, n’a pu agir autrement ; remarquez d’ailleurs que certains témoignages font remonter jusqu’en 997 les cérémonies auxquelles le Bucentaure prenait part. En vérité, elles doivent être infiniment plus anciennes et se rattacher à de très anciens rites de propitiation et d’alliance en honneur dans la mer Adriatique comme dans l’Archipel. Si le nonce du pape accompagnait le doge sur le Bucentaure, il affirmait, par sa présence, le caractère chrétien de la cérémonie ; mais il suffit d’un peu de réflexion pour s’apercevoir que le doge de la thalassocratie vénitienne, épousant la mer, est le véritable successeur du doge de Samos, qui n’avait pas besoin, pour procéder à cette hiérogamie, à ce mariage annuel ou périodique, des conseils du sage roi d’Égypte Amasis ni de la crainte de la jalousie des dieux[1].

Les Grecs connaissaient une autre histoire touchant un anneau d’or jeté à la mer et qui symbolisait évidemment l’empire de la mer. Minos, le thalassocrate de Crète, défie le jeune Thésée de prouver qu’il est fils de Poséidon en rapportant du fond de la mer l’anneau d’or qu’il y jette ; mais Thésée réussit, secondé par Poséidon et par Amphitrite, par les Néréides et par les dauphins. Thésée, ne l’oublions pas, est le héros athénien, le vainqueur du Minotaure crétois ; il met fin à la thalassocratie crétoise et annonce la thalassocratie

  1. On racontait aussi à Venise l’histoire d’un anneau rapporté au doge par un pêcheur, comme dans la légende grecque de Polycrate ; mais les détails qu’on a brodés sur ce thème sont tout différents. « Au mois de février 1340, un soir, pendant une tempête, un inconnu vint trouver un gondolier sur la Piazzetta et lui demanda de le conduire à San Giorgio, où un second passager monta dans la barque, puis à San Niccoletto di Lido, où ils prirent un troisième passager ; le batelier reçut alors l’ordre de gagner le large. Il se trouva bientôt en présence d’un navire monté par des démons qui se dirigeait vers Venise ; mais les trois inconnus, qui n’étaient autres que les protecteurs de la ville, saint Marc, saint Nicolas et saint Georges, firent un signe de croix ; la vision s’évanouit aussitôt et la mer se calma. Saint Marc donna alors son anneau au gondolier en lui ordonnant de le remettre au doge Bartolomeo Gradenigo, afin que toute la ville connût le miracle » (Lafenestre et Richtenberger, Venise, p. 28). La remise de l’anneau au doge est le sujet du célèbre tableau de Paris Bordone, à l’Académie de Venise. Il va de soi que cet anneau de saint Marc est le gage de la thalassocratie vénitienne.