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ces paroles : Desponsamus te, mare, in signum veri perpetuique dominii. Depuis lors, l’arsenal de Venise conserva toujours une galère de cette espèce qu’on appelait Bucentaure ; elle était construite avec toutes les recherches de l’art pour les cérémonies publiques, et particulièrement pour la célébration annuelle du mariage du doge avec la mer, solennité qui se perpétua jusqu’en 1797, époque à laquelle le dernier Bucentaure fut brûlé par les Français ; on en peut voir encore un modèle conservé dans l’arsenal maritime de Venise[1]. »

La promenade annuelle en pleine mer, sur un bâtiment de guerre, n’était pas sans offrir quelque danger. « Cette fonction, écrit Casanova, qui en vit les préparatifs à Venise en 1753, dépend du courage de l’amiral de l’arsenal, qui doit répondre sur sa tête que le temps sera constamment beau, le moindre vent contraire pouvant renverser le vaisseau et noyer le doge avec toute la sérénissime seigneurie, les ambassadeurs et le nonce du pape, garant de la vertu de cette burlesque noce, que les Vénitiens révèrent jusqu’à la superstition. Pour surcroît de malheur, cet accident tragique ferait rire toute l’Europe, qui ne manquerait pas de dire que le doge de Venise est enfin allé consommer son mariage[2]. »

L’histoire de l’institution de cette cérémonie par le pape Alexandre III est non seulement invraisemblable, mais absurde. Jamais l’Église, jamais la papauté n’a institué une cérémonie d’apparence païenne, impliquant tout au moins la reconnaissance d’une ou plusieurs divinités de la mer ; mais lorsque l’Église ou la papauté s’est trouvée en présence d’une cérémonie païenne, passée dans les mœurs d’un peuple puissant et riche, qu’il eût été folie de vouloir déraciner, elle a pris cette cérémonie sous son patronage et, ne pouvant l’abolir, l’a christianisée[3].

Les exemples de cette conduite prudente

  1. Dictionnaire de l’Académie des Beaux-arts, s. v., Bucentaure
  2. Casanova, Mémoires, éd. Garnier, t. II, p. 417.
  3. Ainsi l’impératrice Hélène aurait jeté dans l’Adriatique, pour rendre cette mer plus clémente aux navigateurs, un clou de la vraie croix. (Légende Dorée, éd. Wyzewa, p. 265.)