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gros poisson, qu’un pêcheur offrit à Polycrate ; Amasis reconnut alors qu’il était impossible d’arracher un homme au sort qui le menaçait.

L’histoire du poisson qui a avalé l’anneau d’or est naturellement un conte[1]; mais ce qu’on peut retenir du reste, c’est le fait de Polycrate, maître de la mer, thalassocrate, comme disaient les Grecs, qui se fait conduire sur un vaisseau loin des côtes pour contracter alliance avec l’élément humide en lui offrant son anneau. C’est le mariage (sans doute annuel) du doge Polycrate avec la mer ; nous verrons plus loin que ce rapprochement est fondé.

Les Grecs ont raconté, sans les comprendre, divers actes rituels qui comportent la même explication. Ainsi nous lisons dans Hérodote que les Phocéens, sur le point de partir pour la Corse sans esprit de retour, jetèrent dans la mer une grande masse de fer rougie au feu et jurèrent de ne pas revenir à Phocée avant que cette masse de fer ne reparût à leurs yeux. Le prétendu serment des Phocéens est l’explication proposée par Hérodote ; cette explication est mauvaise. Qu’on veuille bien se souvenir des chaînes de fer rougies au feu jetées dans l’Hellespont par Xerxès ; les masses de fer incandescent, μύδροι, jetées dans la mer par les Phocéens, ne répondent pas à une autre idée. Nous ne savons pas si ces μύδροι étaient des anneaux ou affectaient la forme de liens ; mais, quoi qu’il en soit, c’étaient des offrandes faites à la mer par des navigateurs qui, partant pour un long voyage, avaient besoin de sa bienveillance. Bien entendu, les Phocéens n’inventèrent pas ce rite pour la circonstance ; c’était un vieux rite de départ, une cérémonie de propitiation, une sorte de mainmise magique sur la mer.

Au siècle même d’Hérodote, nous voyons Aristide qui, après avoir fait jurer aux Ioniens l’observation des articles de la confédération athénienne et l’avoir juré lui-même au nom des Athéniens, jette à la mer des masses de fer incandescentes, des μύδροι. Ni Aristote ni

  1. II se retrouve même en Extrême-Orient comme me l’apprend M. Chavannes (Tripitaka, éd. de Tokyo, VII, p. 22).