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pont est un outrage à la majesté des éléments (pontem indignatus Araxes, dit Virgile). Même en pressant chaque mot, on ne pouvait en extraire les faits relatés par Hérodote, les chaînes jetées dans la mer, la flagellation et la malédiction des flots. En revanche, il semble qu’Eschyle ait déjà connu la tradition qu’Hérodote a recueillie, car Darius insiste sur le caractère sacré et divin (ἱρόν, ϑεος) de l’Hellespont et du courant du Bosphore, alors qu’Hérodote fait prononcer aux exécuteurs de la vengeance de Xerxés des paroles dédaigneuses et sacrilèges contre la mer.

Cette incantation singulière a semblé à plusieurs critiques offrir un caractère oriental très marqué et l’on est parti de là pour en affirmer l’authenticité[1]. Leur argumentation ne me convainc pas. Nous connaissons mal la religion de Xerxès ; mais il est certain qu’elle devait avoir beaucoup de points communs avec le mazdéisme postérieur, où la sainteté des eaux, même de l’eau de mer, est telle, que le mage Tiridate, allant à Rome en 66 apr. J.-C., ne voulut pas voyager par mer, de peur de souiller l’eau de ses déjections[2]. D’autre part, qui aurait pu noter les paroles prononcées à cette occasion par les Perses, sans doute par des prêtres, c’est-à-dire des mages, et en fournir la traduction à Hérodote, ou aux metteurs en oeuvre de la légende qu’il a suivie ? Il me paraît, au contraire, évident que la formule de malédiction des eaux est une invention grecque, antérieure peut-être à Hérodote, mais dépourvue de toute autorité historique.

Faut-il en dire autant de l’ensemble du récit ? Ici, il y a une distinction importante à faire entre les actes rituels accomplis par ordre de Xerxès et l’interprétation que les Grecs en ont donnée. C’est faute d’avoir fait cette distinction qu’on a voulu tantôt tout accepter, tantôt tout rejeter, alors que les faits ont pu être constatés par des témoins, par des habitants du pays, tandis que l’interprétation n’en pouvait être donnée que par

  1. Cf. Wecklein, Über die Tradition des Perserkriege, p. 257 ; Busolt, Griechischte Geschichte, t. II, p. 663 ; Hauvette, Hérodote, p. 126, 298.
  2. Pline, Hist. nat., XXX, 16 ; cf. A. Dieterich, Zeitschrift für Neutestamentliche Wissenschaft, 1902, III, p. 11.