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— Eh ! que m’importe, après tout, ce qui peut arriver ! reprit Mac Diarmid d’une voix sombre. Mes affaires sont réglées maintenant. Le temps de loger une balle dans la tête de ce gredin, et advienne que pourra ! Ma vie est finie désormais. J’ai perdu ce qui lui donnait un but, une signification : l’espoir de ramener jamais la race indienne à une condition tolérable… Je me soucie de tout comme de cela ! » ajouta-t-il en faisant claquer ses doigts.

— … Mais ne parlons plus de moi. — Comment va votre blessure, mon cher Frank ? car j’ai su que vous aviez eu une flèche dans le bras, et je vois que vous le portez encore en écharpe.

— Mon bras va aussi bien que possible, merci. Mais, sans vous offenser, mon cher, vous paraissiez en assez mauvais état vous-même quand ce brave Evan Roy vous a emporté…

— Ah ! vous avez su la chose ? fit Mac Diarmid avec son rire des anciens jours, son rire de cadet. Oui, j’étais assez endommagé. Mais les Indiens n’ont pas leurs pareils pour soigner leurs blessures. En six semaines, mon vieil ami le sachem m’a remis sur pied…

— Prenez garde ! dit Frank en regardant autour de lui. Si l’on vous entendait !…

— Bah ! qui pourrait me reconnaître ? Ces messieurs sont de vos amis ?

— Oui, ce sont des officiers de mon régiment et quelqu’un que vous avez déjà entrevu une fois, M. Mark Meagher, le correspondant du Herald.

— Vraiment ? fit Mac Diarmid de son plus beau sang-froid, et, tirant un lorgnon d’écaille qu’il ajusta dans son arcade orbiculaire pour examiner les officiers, il vit le journaliste toujours occupé de sa partie de billard avec le capitaine Striker. Présentez-moi donc, Armstrong, je suis curieux de voir s’il me reconnaîtra. »

Frank fut obligé de se rendre à cette requête, et bientôt Mac Diarmid se trouva engagé dans une conversation des plus animées avec quelques-uns de ceux qui, trois mois plus tôt, s’étaient battus contre lui sur le Petit-Missouri. Son incognito l’amusait visiblement.

Quelques minutes plus tard, il causait avec Mark Meagher.

« J’ai lu avec un vif intérêt dans le Herald votre relation d’une visite au camp de l’Ours-qui-se-tient-debout, monsieur, lui disait-il. Vous devez avoir passé par de terribles émotions, et j’imagine que vos réflexions devaient être assez lugubres dans le grand teepee. »

Le correspondant spécial, à demi couché sur le billard, était en train de combiner un carambolage assez difficile.

Il l’exécuta sans se presser, puis, se relevant et regardant le questionneur :

« Vous me demandez quelles étaient mes réflexions, répondit-il. Les voici : je me disais que pas un homme dans tous les États-Unis n’avait autant de toupet que moi… Mais, en ce moment, je reconnais que je me trompais, et que j’ai trouvé mon maître. »

Puis il reprit tranquillement sa série et, coup sur coup, exécuta cinq carambolages.

« Vous savez, reprit-il en s’adressant à demi-voix à Mac Diarmid, tandis que le capitaine Striker jouait à son tour, il me faut la primeur des nouvelles de votre rencontre avec M. Van Dvck. J’y compte absolument pour le Herald, » ajouta-t-il avec un regard d’augure qui rencontre un collègue.

Mac Diarmid, qui avait été un instant sur le point de se fâcher, se mit à rire :

« Ces journalistes, dit-il, on ne sait jamais s’ils parlent sérieusement ou non. »

Son attention fut bientôt accaparée par le juge Brinton, qui venait perdre une heure avec ses anciens amis du fort Lookout, et qui fut enchanté de rencontrer Mac Diarmid. Il ignorait naturellement ce qui venait de se passer entre lui et son neveu Cornélius.

La fortune du digne magistrat n’était pas, paraît-il, aussi florissante qu’il le laissait croire, quoiqu’il eût, comme on dit en Amérique, an eye to business, l’œil toujours ouvert pour une bonne affaire, et il y avait déjà plusieurs jours qu’il cherchait à faire acheter au riche métis certaines actions dont il croyait avoir intérêt à se défaire. Mac Diarmid ne s’abusait pas outre mesure sur l’excellence de l’opération qui lui était proposée. Mais, comme tous les hommes de couleur dans les pays où plusieurs races vivent côte à côte, il avait toujours eu l’ambition secrète d’obtenir ses entrées dans le monde des blancs, et comptait un peu sur l’influence du juge Brinton. Aussi ne se décidait-il pas à lui opposer un refus formel, et fut-il positivement enchanté quand le magistrat, empressé d’en finir, lui dit avec de grandes démonstrations de cordialité :