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vers lui, comme un homme qui se noie embrasse une perche.

« Vous le voyez, fit-il, un individu que je ne connais même pas, et qui m’insulte ! Je vous en prie, mon cher capitaine, tirez tout cela au clair… Vous me trouverez à l’hôtel de la Cinquième-Avenue…

— C’est convenu. Je me charge de tout. »

Et Van Dyck, gagnant la porte, se hâta d’aller cacher dans la nuit son affreuse humiliation.

Le capitaine Burke, comme un très grand nombre d’officiers de l’armée fédérale, était d’origine irlandaise et se piquait de raffinement en matière d’affaires d’honneur. Il revint donc, en écartant ses coudes et en sautillant sur ses pointes, vers Mac Diarmid et Evan Roy, leur adressa un profond salut et commença dans les formes :

« Messieurs, je n’ai pas l’honneur d’être connu de vous, mais je suppose que la formalité des présentations ne sera pas longue quand je vous aurai dit que je viens au nom de mon ami Van Dyck. »

Tout en parlant, il tendait sa carte à Mac Diarmid. Celui-ci la prit avec un léger signe de tête, tira tranquillement un carnet de sa poche et remit à son tour au capitaine Burke un carré de vélin qui portait son nom et son adresse.

« Enchanté de faire votre connaissance, reprit l’officier avec un nouveau salut. Vous plairait-il de me mettre en rapport avec un de vos amis ?

— Voici mon parent, M. Evan Roy, répliqua le jeune homme. Veuillez vous entendre avec lui, capitaine. »

Et, après s’être incliné, il s’éloigna. L’Irlandais et le Highlander restèrent seuls.

Evan Roy éprouva aussitôt le besoin de se mettre à la hauteur de la situation, et, comme un flacon de whisky était intimement associé dans sa pensée à toutes ses notions de courtoisie diplomatique, il commença par dire d’un ton cérémonieux :

« Ne pensez-vous pas, capitaine, que nous pourrions mieux traiter cette affaire dans un cabinet particulier, en buvant un verre de toddy ?

— Voilà ce que j’appelle une excellente idée, monsieur, répondit l’officier. Je suis à vos ordres. »

Et les deux témoins se dirigèrent ensemble vers l’escalier qui conduisait à l’étage supérieur.

Cependant Frank Armstrong s’était rapproché sans affectation de Mac Diarmid.

« Vous êtes fou ! lui dit-il à voix basse, en lui serrant cordialement la main. Comment ! vous venez vous montrer à New-York, et, qui pis est, vous vous faites une affaire, si peu de temps après… ce que vous savez bien !… Vous voulez donc absolument vous perdre !

— Mon cher Frank, fit Mac Diarmid avec son sourire calme, quand ma visite à New-York ne m’aurait procuré que le plaisir de vous rencontrer, ce serait déjà bien assez pour compenser les légers inconvénients auxquels vous faites allusion. Mais j’avais en outre des affaires sérieuses à régler : l’avenir de ma mère et de ma sœur à assurer, la vilenie de ce lâche coquin à punir…

— Mais qu’avez-vous donc contre Van Dyck ? J’ignorais même que vous le connussiez ?

— Ce que j’ai ? répondit le sang mêlé d’une voix sourde, vous demandez ce que j’ai ? C’est lui qui a brisé ma carrière et faussé ma vie, — lui qui a fait de moi un rebelle et m’a jeté dans une voie à laquelle il ne reste plus d’issue que la mort ou l’expatriation. Et cela en dénonçant une infraction légère qu’il n’avait pas mission de surveiller ou de réprimer. Vous rappelez-vous l’histoire du mauvais point de trop qui m’a valu mon expulsion de l’École ? Eh bien ! à la suite d’une enquête patiemment, silencieusement poursuivie pendant plusieurs jours, j’acquis alors la certitude que Van Dyck était l’auteur de cette dénonciation. Il passait dans le couloir en se rendant chez le général, mit son œil à la serrure de notre chambre et nous vit fumant. Il n’eut rien de plus pressé que d’aller conter si bruyamment la chose, que la Commission ne put s’empêcher de nous prendre en faute. Je tiens le fait du sous-officier chargé des écritures et qui n’avait pas voulu d’abord s’expliquer à cet égard. Vous êtes étonné que je ne vous aie jamais fait connaître cette circonstance ? C’est que je tenais à me réserver le plaisir de châtier ce coquin. Comprenez-vous maintenant que je n’aie pas quitté l’Union sans venir faire mon compliment au personnage, puisqu’il ne m’a pas été possible de l’atteindre dans la prairie ?

— Oui, je comprends tout, dit Armstrong, mais cela n’excuse pas votre imprudence. À l’heure qu’il est, vous devriez être au Canada, en Europe, partout, excepté à New-York, mon cher…