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flegme, mais sans répondre directement, il m’est arrivé un jour de me trouver en compagnie de plusieurs jeunes gens récemment sortis de West-Point ; ils m’ont conté qu’un des cadets venait d’être expulsé, — privé de sa commission, monsieur, notez ce point, — sur le rapport d’un officier, un vil coquin, qui n’était même pas de service à l’Académie, qui n’avait rien à y faire, et qui n’aurait jamais dû y mettre le pied, — mais qui s’était constitué espion volontaire !… »

Van Dyck regardait son interlocuteur, et un souvenir plus précis commençait à se faire jour dans son esprit. Mais il jugea à propos de n’en rien témoigner.

« Eh bien, monsieur, demanda-t-il assez audacieusement, en quoi tout cela peut-il m’intéresser ?

— Le voici, répondit l’étranger. Je m’appelle Mac Diarmid. Comprenez-vous maintenant, monsieur ?… Et le vil coquin, l’espion qui a fait priver le cadet Mac Diarmid de sa commission, — le lâche qui a depuis dû renoncer à la sienne, — s’appelle Cornélius Van Dyck… »

Depuis un instant, Van Dyck avait glissé sa main droite dans la poche secrète située derrière sa hanche, où, selon l’usage américain, il portait un revolver. Quant à Mac Diarmid, tout en parlant sans élever la voix, il donnait à sa hotte vernie de petits coups d’une légère badine qu’il tenait à la main. Quoique ni l’un ni l’autre n’eût élevé la voix au-dessus du diapason d’une conversation ordinaire, il y avait dans leur attitude, dans leur physionomie, un je ne sais quoi qui avait immédiatement attiré l’attention, et un cercle de curieux s’ôtait formé autour d’eux.

Au moment où le mot lâche était tombé des lèvres de Mac Diarmid, et où son nom avait été prononcé, Van Dyck avait tiré la main de sa poche. Il leva son pistolet et fit feu, presque à bout portant, sur son adversaire…

Mais, en même temps que le coup de revolver, on entendit comme un coup de fouet. C’était la badine de Mac Diarmid qui, plus rapide que l’éclair, cinglait les doigts de Cornélius et faisait tomber son arme à terre, puis aussitôt, d’un coupé et d’un revers, lui zébrait les deux joues de deux lignes blanches.

Tout cela fut l’affaire d’une seconde. L’instant d’après, plusieurs personnes s’étaient jetées sur Van Dyck et le tenaient en respect.

Personne n’avait touché Mac Diarmid.

Cornélius s’empressa de profiter de son impuissance manifeste pour vomir contre son ennemi toutes les insultes que son imagination put lui suggérer, — tandis que Mac Diarmid, calme et toujours souriant, le considérait avec dédain.

À ce moment, un homme à larges épaules, et à la barbe rousse, qui n’était autre qu’Evan Roy, sortit de la foule, ramassa tranquillement le revolver qui était à terre et se mit en devoir d’en retirer toutes les capsules qui n’avaient pas servi.

Van Dyck avait été relâché maintenant par les pacificateurs bénévoles qui s’étaient interposés, et, la face toujours marquée de deux longues lignes livides, qui contrastaient avec le ton rouge de sa face congestionnée, il regardait autour de lui d’un œil hagard…

C’était à croire que tout le fort Lookout s’était subitement donné rendez-vous à New-York pour assister â sa honte. Il y avait là le capitaine Saint-Aure, le capitaine Striker, le capitaine Burke, le lieutenant Armstrong, — stupéfait à part lui de l’audace de Mac Diarmid, — sans parler de Mark Meagher.

Et Mac Diarmid souriait toujours. Cependant Evan Roy, ayant terminé son opération, s’avança vers l’infortuné Van Dyck, et, lui tendant le revolver avec une courtoisie affectée :

« Voilà votre joujou, monsieur, dit-il à haute voix. J’en ai retiré les capsules pour que vous ne puissiez plus vous blesser ; un accident est si vite arrivé ! »

Tous les spectateurs se mirent à rire, et, comme la scène paraissait terminée, chacun se disposait déjà à tourner le dos, quand Cornélius, mis hors de lui par cette hilarité, s’écria avec violence :

« Il est facile de rire quand on est cent contre un !… Mais si j’avais seulement ici un homme d’honneur qui voulût me servir de témoin… »

Il regarda ses anciens compagnons d’armes. Le capitaine Burke, qui s’était lié avec lui pendant son séjour au fort Lookout, n’eut pas la force de résister à cet appel.

« Voilà, Van Dyck, mon cher, dit-il en s’avançant. Il ne sera pas dit qu’un vieux camarade n’aura pas répondu à votre requête… Qu’est-ce que tout ceci ? »

Le malheureux saisit la main qui se tendait