Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/93

Cette page n’a pas encore été corrigée

Il lui semblait que, sur le rideau même de la scène, il venait de voir flamber en lettres de feu la note laconique ajoutée par son colonel en marge de la lettre de démission :

« Instamment recommandé au Ministre. L’armée a tout à gagner à la retraite immédiate de cet officier.

Signé. « B. Saint-Aure. »

« Allons faire une partie de billard, » se dit Van Dyck en quittant précipitamment l’Opéra et se réfugiant dans un grand café voisin.

Comme il cherchait dans la foule une figure de connaissance, son attention fut attirée par une voix familière à son oreille.

« Mon cher Meagher, vous allez me rendre au moins vingt-cinq points ! Vous savez que nous n’avons pas de billard au fort Lookout pour nous faire la main ! »

Le gros monsieur qui accompagnait ces mots d’un large rire n’était autre que le capitaine Striker.

Lui aussi il savait l’histoire de Cornélius. Il fallait encore battre en retraite. Sans compter que le malheureux ne se souciait guère de voir le regard tranquille du correspondant spécial se porter sur lui. Il connaissait aussi Mark Meagher de vue ; il avait lu dans le Herald sa fameuse lettre de trois colonnes en petit texte sous ce titre flamboyant :


L’OURS-QUI-SE-TIENT-DEBOUT !
Un Conseil de Guerre chez les Sioux.
Compte rendu in extenso par le correspondant spécial du Herald.


Il avait lu aussi un récit coloré du combat où Frank Armstrong s’était distingué, et où lui, Cornélius, avait gagné ses éperons de si étrange façon, et il n’éprouvait décidément aucune envie de voir ces pénibles souvenirs se dresser devant lui.

Aussi se disposait-il une fois de plus à s’esquiver sans bruit, quand il sentit tout à coup une main posée sur son épaule, tandis qu’une voix douce et grave lui disait :

« Enfin, je vous rencontre, monsieur Van Dyck… »

L’ex-lieutenant se tourna vivement, et se trouva en présence d’un grand jeune homme qu’il lui semblait bien vaguement avoir vu quelque part, mais sans pouvoir mettre un nom sur sa figure au teint mat, sur ses yeux noirs et chargés d’ironie, sur le sourire singulier de ses lèvres minces.

L’étranger était élégamment vêtu, sans aucune de ces hérésies qu’on trouve d’ordinaire dans la toilette d’un homme de sang mêlé, qu’il paraissait être. Chez lui point d’énorme chaîne, point de diamant à la cravate, point de bagues aux doigts. Sa redingote était d’une coupe irréprochable, ses mains correctement gantées, et Cornélius ne trouva pas, dans l’examen rapide auquel il se livra, le moindre prétexte où accrocher une critique.

Il y avait pourtant, sur la physionomie de son interlocuteur, un je ne sais quoi qui ne donna pas à Van Dyck le désir d’entrer en conversation avec lui, et il eut bientôt pris son parti.

« Je n’ai pas l’honneur de vous connaître, monsieur, » dit-il en se retournant pour sortir.

Mais, une fois encore, il se sentit retenu.

« C’est donc que vous avez la mémoire plus courte que moi, monsieur Van Dyck ! disait Mac Diarmid, — car c’était lui qui venait enfin de mettre la main sur l’homme qu’il haïssait depuis trois ans. Je vous connais, moi ! » ajouta-t-il en appuyant sur ce dernier mot.

Il parlait avec le plus grand calme et n’avait pas cessé de sourire ; mais l’ex-lieutenant n’en comprit pas moins qu’il y avait une querelle dans l’air.

Du reste, il n’avait pas la moindre idée de ce qui pouvait la motiver. Le fait n’a rien qui puisse surprendre, si l’on songe qu’il n’avait entrevu Mac Diarmid que deux fois dans sa vie : — la première à West-Point, à l’état de cadet, quant il l’avait fait surprendre fumant dans sa chambre ; la seconde, sous la peinture de guerre du Chef au bracelet d’or, et dans des conditions qui ne laissaient pas à Cornélius le plein exercice de ses facultés d’observation, attendu qu’il tournait les talons à son adversaire et détalait au plus vite.

C’est donc de très bonne foi, quoique d’un ton assez peu ferme, qu’il articula :

« Il faut que j’aie oublié… À qui donc ai-je l’honneur de parler ?

— Monsieur, reprit l’autre avec le même