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— Avez-vous vu ce diable de Mac Diarmid, comme il se battait ?

— Un vrai lion. J’ai bien cru un instant qu’il allait être fait prisonnier.

— Oh ! il n’y avait pas de danger ! Il se serait plutôt fait hacher. Il savait trop ce qui l’attendait.

— Oui, je suis bien heureux qu’il n’ait pas été pris… même si, comme je n’ai que trop lieu de le craindre, c’est seulement son cadavre qu’Evan Roy a réussi à enlever… Et après tout, la mort d’un soldat, c’est encore la plus belle fin à lui souhaiter ! Il ne pourrait guère ni se condamner à vivre chez les Sioux, ni revenir au milieu de nous… Quel malheur que ce garçon si brave, si bien doué, se soit trompé de route !…

— Oui, il ne faudrait pas beaucoup d’officiers pareils dans une armée pour en faire la première du monde. Croyez-vous qu’il n’ait été reconnu de personne ?

— J’en suis sûr. D’abord sa peinture de combat le déguisait à merveille, et puis, nous seuls le connaissons de vue. Comment aller imaginer, quand on n’est pas prévenu, que le Chef au bracelet d’or soit un ancien cadet de West-Point ?

— C’est, en effet, assez original. Par parenthèse, vous devriez bien me permettre de raconter cela dans le Herald.

— Non, mon cher Meagher, je vous en prie, n’en parlez pas ; faites cela pour moi. Au bout du compte, c’est à lui autant qu’à Flèche-Rouge que nous devons la vie. Sans son intervention, il est bien probable que nous eussions été expédiés bien avant l’ouragan. Encore si nous étions sûrs qu’il est mort, mais rien ne nous en donne la certitude. Evan Roy peut l’avoir rappelé à la vie. Il faut lui garder le secret. C’est pour nous une obligation d’honneur.

— Je le veux bien, mais rappelez-vous que je fais là à Mac Diarmid et à vous le plus grand sacrifice qu’il soit au pouvoir d’un journaliste de faire : garder pour soi une nouvelle aussi curieuse !

— J’apprécie le sacrifice à sa valeur, croyez-le bien, dit Frank en souriant.

— Allons, tâchez de bien reposer cette nuit, reprit le correspondant en se levant pour sortir. Le docteur dit que votre blessure n’a rien de grave, et le colonel va vous appliquer le meilleur des pansements : une citation à l’ordre du jour de l’armée. »

Cornélius s’empressa de s’esquiver pour ne pas être surpris.

« Tiens ! tiens ! se disait-il en rentrant chez lui, qu’est-ce que cette nouvelle histoire ? Armstrong et Meagher connaissent le Chef au bracelet d’or ?… Il faudra tirer cette affaire au clair et me renseigner sur ce Mac Diarmid. »


CHAPITRE XIX
UNE PARTIE DE BILLARD


On était à la veille des fêtes de Noël. Il y avait déjà deux mois que Cornélius Van Dyck, en présence de la réprobation unanime de son régiment, avait dû adresser sa démission au ministre de la guerre, et qu’il essayait de se consoler de ses malheurs en se jetant dans toutes les distractions que New-York peut offrir à un désœuvré. Ce soir-là, il était entré à l’Opéra Italien ; mais, à peine installé dans son fauteuil d’orchestre, il avait aperçu, à deux rangs devant lui, le commandant Saint-Aure, venu, lui aussi, à New-York avec sa femme pour y passer un congé rapide, et la vue seule de cette tête de Méduse avait suffi pour mettre en fuite l’ex-lieutenant.