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sent l’arme au bras, immobiles comme un mur, tandis que la marée humaine se rapprochait de plus en plus.

Les Peaux-Rouges n’étaient pas à huit cents mètres. Des balles, des flèches même venaient tomber aux pieds des fédéraux.

Tout à coup le commandant leva son épée.

À ce signal convenu, son aile droite, exclusivement composée de cavalerie sous les ordres du major Westbrooke, s’ébranla avec un piétinement sourd pour prendre les Indiens en flanc.

Dès lors ce fut un combat corps à corps. Les dragons avec leurs revolvers avaient aisément raison des Peaux-Rouges, qui en étaient réduits à se servir de leurs flèches comme de piques, car la mêlée était trop épaisse pour que leurs lances fussent d’aucun secours. Quelques-uns pourtant, notamment la Lune-Rousse et le Cheval-Américain, étaient doués d’une force si herculéenne qu’ils faisaient le vide autour d’eux. Il y eut des épisodes terribles, comme, par exemple, au moment où Tatouka se glissant sous le ventre du cheval monté par le sous-lieutenant Hewitt, réussit à saisir le malheureux jeune homme par la jambe, à le précipiter à terre et à lui plonger dans la poitrine son couteau à scalper, pour se voir presque aussitôt frappé de cinq à six balles et mourir, mais mourir vengé.

Il y eut aussi des incidents grotesques, entre autres le galop échevelé que prit le lieutenant Van Dyck à un moment où il se vit serré de près par le Chef au bracelet d’or. Mac Diarmid avait reconnu son dénonciateur et accourait l’épée haute, quand une balle perdue vint couper le jarret à son beau cheval gris de fer et le mettre à pied. Mais Cornélius était trop bien lancé pour s’arrêter et fut bientôt hors d’atteinte.

Frank Armstrong, en tête de ses hommes, et qui avait l’un des premiers pénétré dans le carré des Indiens, se trouva un moment engagé dans un combat corps à corps avec l’Ours-qui-se-tient-debout et n’échappa que par miracle à un terrible coup de massue que lui destinait son adversaire. Il venait de recevoir une flèche dans le bras gauche et ne pouvait plus se servir que de sa main droite, mais par un effort de volonté, guidant son cheval par la seule pression des genoux, il riposta d’un coup de revolver si bien ajusté, que le chef des Dakotas s’abattit comme une masse et ne bougea plus.

L’attention de Frank était toute pour le Chef au bracelet d’or qui tenait bon à cent mètres de lui. Il lui souhaitait de mourir les armes à la main. Le sort qui lui était réservé s’il eût été fait prisonnier, l’épouvantait. D’autre part, Charley du Colorado avait déjà eu raison de la Lune-Rousse en lui déchargeant sa carabine dans la tête presque à bout portant, et le Cheval-Américain, serré de près par quatre dragons, venait d’être désarmé. Aussi la chute de l’Ours-qui-se-tient-debout fut-elle le signal d’une débandade générale. Les Indiens, réduits de moitié, démoralisés, pressés de toutes parts par les troupes fédérales, ne résistaient plus que faiblement. Les uns après les autres ils jetaient leurs armes, ou, tournant la tête de leurs chevaux vers le nord, ils prenaient la fuite.

Presque seul, un petit groupe d’enragés continuait de résister avec acharnement, quoique sans espoir, et c’était aux côtés du Chef au bracelet d’orque cet effort désespéré se faisait. Ceux-là étaient armés à l’européenne et faisaient éprouver aux dragons des pertes sérieuses. Mais peu à peu le cercle se resserrait autour d’eux. Mac Diarmid, qui perdait son sang par deux blessures, avait peine à se tenir debout ; ses hommes allaient être accablés par le nombre, écrasés ou réduits à se rendre, quand tout à coup on put voir un homme à la barbe rousse, dans le costume national des Highlanders d’Écosse, se précipiter sur le Chef au bracelet d’or, l’empoigner à bras le corps, et, le jetant en travers de son propre cheval devant lui, comme un sac inerte, l’emporter au galop et s’élancer vers le nord…

Armstrong put encore se rendre compte de l’incident. N’était-ce que le corps du Chef au bracelet d’or qu’Evan Roy avait si prestement enlevé dans son audacieuse retraite ? C’était bien probable. Il n’était que trop visible que Mac Diarmid n’avait pas voulu survivre à ce désastre.

Ce fut le dernier acte de la bataille. Ce qui restait d’indiens prit la fuite. L’engagement n’avait pas duré deux heures, mais il avait été des plus meurtriers.

Ce n’étaient de tous côtés que des cadavres défigurés, blessés gémissants, chevaux éventrés, mares de sang.

Le commandant Saint-Aure ne permit pas à ses troupes de poursuivre les fuyards. Il