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cepter le commandement d’une entreprise dont il comprenait pourtant mieux que personne la folie. Averti par ses éclaireurs de l’approche de l’armée fédérale, moins de huit jours après l’évasion de Frank et de Meagher, il n’avait eu que le temps de faire filer femmes et enfants vers le Canada, tandis que les hommes allaient tenter de protéger cette retraite.

Il ne pouvait s’abuser sur l’issue d’une lutte qu’on ne leur avait laissé le temps ni d’éviter ni de préparer. Mais le sort en était jeté ; il n’était pas homme à reculer. Les Indiens n’avaient pas d’artillerie ; à peine possédaient-ils quelques fusils et cinq à six barils de munitions. Leur résolution n’en était pas moins indomptable, et, dans tout le camp de l’Ours-qui-se-tient-debout, pas une voix ne s’était élevée pour conseiller la fuite.

Seul, assurément, Mac Diarmid, surpris par l’imminence de l’attaque, comprenait l’étendue du danger qui menaçait les Sioux. La ligue qu’il avait rêvée aurait nécessité des semaines ou tout au moins des jours de préparation, et c’est à peine s’il avait quelques heures. Mais il avait trop le sentiment de sa responsabilité dans le désastre qu’il voyait presque inévitable, pour chercher à s’en dégager.

Soutenu toutefois par une confiance inébranlable dans ce que l’on peut appeler l’imprévu des batailles, il se disait que peut-être des circonstances favorables pourraient surgir, que les Indiens étaient individuellement des combattants incomparables, et qu’en tous cas il ne fallait rien négliger de ce qui était encore possible pour conjurer un désastre complet.

Il se hâta donc d’envoyer des ambassadeurs aux tribus voisines qu’il comptait entraîner avec lui, et, pour son compte, il se mit à la tête des Sioux.

Il aurait voulu pouvoir rester sur la défensive en profitant des mouvements de terrain qui abritaient ses cavaliers. Attendre l’ennemi, le forcer à se rapprocher assez pour que le combat pût avoir lieu corps à corps, eût été le salut. Mais une telle manœuvre était contraire à tout ce qui, pour les Indiens, représentait le courage. Ils n’avaient pas voulu la comprendre et avaient préféré se ruer héroïquement, mais follement, sur l’ennemi.

En moins de dix minutes, il n’y eut plus entre les deux armées qu’un intervalle de deux à trois mille mètres.

Dans cette plaine nue, à peine accidentée de loin en loin de quelques broussailles, toute la scène se développait comme sur une de ces cartes à vol d’oiseau où toutes les lois de la perspective sont foulées aux pieds.

À ce moment, le colonel Saint-Aure donna l’ordre de pointer avec soin les deux pièces que deux vigoureux attelages traînaient au grand trot à son arrière-garde, et commanda le feu.

Le premier effet de cette décharge fut foudroyant. À peine les Indiens avaient-ils vu tomber au milieu d’eux, à une distance si disproportionnée de la portée de leurs arcs et de leurs vieilles armes à feu, deux obus dont presque chaque éclat porta coup, que la plupart d’entre eux s’arrêtèrent tout net et semblèrent sur le point de lâcher pied.

Les troupes fédérales virent alors un cavalier, dont le manteau brodé d’or brillait au soleil parmi les lainages plus sombres de ses hommes, les exhorter, les soutenir, les pousser, les rallier et, finalement, puisqu’il n’y avait plus que cela à faire, les remettre en marche et précipiter leur élan.

Quelques minutes s’écoulèrent pendant lesquelles les canons furent rechargés, et les deux armées se rapprochèrent encore de cinq à six cents mètres. Puis il y eut une nouvelle volée des deux pièces, et de nouveau la ligne des Indiens subit comme une ondulation.

Mais cette fois le cavalier au manteau d’or s’attendait à la chute des obus. Au moment précis où il avait aperçu la fumée du canon, il s’était dressé sur ses étriers en poussant un hurrah ! sauvage, et éperonnant son cheval, il avait entraîné ses troupes par son exemple.

Désormais les Indiens étaient aguerris au canon, et les cinq décharges successives qu’ils eurent à essuyer, tout en leur mettant une centaine d’hommes hors de combat, furent impuissantes à arrêter leur marche.

Le commandant Saint-Aure, placé au milieu de l’angle droit formé par ses troupes, ne put refuser son admiration à l’intrépide attitude de ses adversaires et de leur chef ; il vit le moment où les Indiens allaient déboucher sur son aile gauche. Néanmoins, il contint du geste l’ardeur de ses hommes qui, bouillant, d’impatience, voulaient, eux aussi, se jeter en avant, et il exigea qu’ils restas-