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— Mais oui, ma chère, ce sont les lévriers du colonel. Il les envoie toujours devant lui avec une lettre pour moi, quand il est sur le point de rentrer au fort ! »

Cependant les deux lévriers avaient déjà bondi par-dessus le fossé. Ils arrivaient à fond de train à travers le champ de manœuvre. Bientôt ils furent dans la cour. Mistress Saint-Aure avait ouvert la fenêtre.

« Zieten !… Brown !… Ici ! » fit-elle.

Et les deux nobles bêtes, folles de joie en entendant cette voix amie, ne firent qu’un saut dans l’escalier, pour retomber dans le salon, haletantes et bondissantes.

Leurs mouvements étaient si frénétiques, leur ardeur à lécher les mains de mistress Saint-Aure si emportée, qu’elle eut quelque peine à prendre possession du papier attaché au collier de Zieten. Elle y parvint pourtant et, l’ouvrant aussitôt, elle lut à haute voix :

« À Mistress Saint-Aure, au fort Lookout.


« Du champ de bataille du Petit-Missouri, 12 octobre.

« Tout va bien. Rencontré les Sioux à six milles de l’Estacade de Mauley, sur les indications d’Armstrong qui a fait des prodiges et à réussi à s’échapper du camp de l’Ours-qui-se-tient-debout où il avait eu l’audace de s’introduire… »

« Nettie, ma chère, est-ce que vous vous trouvez mal ? demanda ici mistress Peyton en frappant dans les mains de la jeune fille qui avait poussé un cri et était devenue toute blanche.

— Non… ce n’est rien… lisez… la joie seulement… » fit-elle du geste autant que de la voix, en suppliant mistress Saint-Aure de reprendre sa lecture.

« … Profité de l’occasion sans attendre la colonne annoncée du fort Laramie. Sioux taillés en pièces. Perdu trente-huit hommes, dont deux officiers, le lieutenant Graham et le sous-lieutenant Hewit, Peyton sain et sauf, Armstrong blessé d’une flèche au bras. Serons au fort le 18 courant, si le temps se maintient au beau.

« B. St-A. »

« Le 18, et nous sommes au 14… Dans trois jours ! dit joyeusement mistress Peyton.

— Il est blessé, murmura Nettie d’une voix tremblante, mais alors peut-être…

— Mais non, petite folle, reprit mistress Saint-Aure, puisqu’on vous dit que c’est au bras… »

Ici mistress Peyton s’écria :

« Brown a aussi une lettre !… Regardez donc, Elsie ! »

En effet, le second lévrier avait une petite bande de papier très étroite attachée à son collier.

Elle fut immédiatement détachée, ouverte et se trouva porter cette adresse- :

« Miss Nettie Daslvwood, au fort Lookout.

« Je vous en prie, lisez-la pour moi, dit l’enfant, je ne pourrais pas reconnaître une seule lettre. »

C’était un billet de huit ou dix lignes, ainsi conçu :

« Le blanc-bec s’est conduit comme un héros. Blessure légère et sans danger. J’ai cru, à tort peut-être, devoir garder votre secret, et je suis bien obligé de confesser que le pauvre garçon, à qui rien encore n’a pu ouvrir les yeux, ne paraît pas se douter de son bonheur. Il semble croire que votre cousine Juliette doit être tout pour lui comme par le passé. Si j’avais pu parler, peut-être son cœur aurait-il trouvé sa vraie voie. Mais vous m’avez fait promettre de me taire, et, s’il n’est pas éclairé, c’est votre faute et non la sienne en vérité. J’enrage pourtant que de lui-même son cœur ne soit pas déjà tout à vous. Faut-il l’aider ?

Jim St-A. »

Les deux dames s’étaient remises à causer de la grande nouvelle en relisant la lettre du commandant. Tout entières à la joie de savoir leurs maris sains et saufs et sur le point de rentrer au fort, elles ne remarquèrent pas d’abord le changement subit qui s’était produit en Nettie.

La petite malade s’était redressée ; ses joues avaient repris leur couleur, ses yeux brillaient d’un éclair singulier.

À peine mistress Peyton se fut-elle retirée :

« Chère mistress Saint-Aure, dit-elle en se levant et en venant embrasser la jeune femme, tout bien pesé, mon devoir est de quitter le fort sans retard. »

Son amie la regarda avec stupéfaction.