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que les blancs fussent ici déjà pour leur montrer ce que c’est qu’un brave ! Nos enfants seront en sûreté sur le territoire de la Mère Blanche. Il faut les envoyer là avec leurs mères, — et nous, les hommes, marcher au devant du Chef Jaune ! J’ai pris dans ma vie plus d’une chevelure de blanc ; mais il m’en faut d’autres. J’ai dit.

— Hach ! hach ! » s’écrièrent aussitôt la plupart des chefs, comme s’ils avaient craint, en penchant pour l’avis le plus prudent, de se faire passer pour poltrons.

Presque en même temps, un concert de hurlements sauvages s’éleva de la foule qui les entourait. Les femmes elles-mêmes se mettaient de la partie.

Les cheveux épars, l’œil furieux, elles commençaient à murmurer en chœur une sorte de mélopée sourde et à se balancer en suivant la mesure de leur chant.

La contagion de la colère se répandit avec la rapidité d’un feu de paille.

Les prisonniers suivaient avec un poignant intérêt tous les détails de cette scène.

Un instant, au moment de l’intervention du Pawnee, ils avaient espéré que tout allait s’arranger, au moins provisoirement. Mais, maintenant, il devenait évident que les chances de salut diminuaient de minute en minute.

Beau Bill leur résumait tout ce qui se disait, et Mark Meagher prenait tant bien que mal des notes dans les ténèbres croissantes, — au jugé, comme il le fit remarquer.

« Je ne vois plus Flèche-Rouge, remarqua Armstrong.

— Il fera bien de ne pas se faire pincer ! répondit Charley. S’il y a un être qu’un Sioux déteste, c’est un Pawnee… de même qu’un Pawnee n’est pas fâché de jouer un tour à un Sioux… »

Cependant le vacarme augmentait d’instant en instant. Les danseurs abandonnaient graduellement le feu du conseil et se rapprochaient de la tente sacrée, en proférant d’effroyables menaces contre les prisonniers.

Au milieu des groupes, l’œil d’Armstrong retrouva bientôt le prétendu délégué aux plumes blanches, qui faisait autant de bruit à lui tout seul que tous les autres ensemble.

Il s’agitait, hurlait, sautait, et finit par se rapprocher de la porte du teepee.

Tout en se démenant, il beuglait en anglais d’une voix de Stentor :

« Sioux stupides ! Flèche-Rouge… tirer blancs d’ici… dans deux… trois… quarante minutes ! »

Comme pour accentuer sa promesse, un immense éclair venait de déchirer la nuit et, pendant une fraction de seconde, d’illuminer d’un jour bleuâtre tout l’intérieur de la tente.

Presque au même instant, un coup de tonnerre formidable éclata si près de terre, qu’il sembla se promener dans le camp et tout renverser sur le passage de ses ondes sonores.

Au moment même où il se produisit, le Pawnee, poussant un rugissement terrible, coupa d’un saut le cordon de gardes qui entourait le teepee.

Avant qu’aucun d’eux eût pensé à le repousser ou se fût seulement rendu compte de ce qui arrivait, il s’était jeté dans la grande tente et en avait fait retomber sur lui la lourde portière de peau.

Tout le monde dans le teepee se tenait immobile.

Un grand silence s’était fait. Les Indiens, saisis d’une terreur superstitieuse, avaient suspendu leurs danses et leurs vociférations.

Dans ce silence, grandit subitement un sifflement aigu, prolongé, comme une sorte de piaulement atmosphérique accourant du fond de l’horizon, balayant les tentes et s’engouffrant dans le teepee avec un tourbillon de sable et de poussière.

« L’ouragan ! murmura Charley après avoir un instant écouté. Je connais sa voix !…

— Oui, répondit Flèche-Rouge, grand ouragan !… Jeter par terre camp, grand teepee, tout !… Nous courir rivière, sauter dedans, nager. — Hip ! bip ! hip !… »

Et, de fait, le cyclone mugissait déjà et commençait d’agiter le teepee de secousses de plus en plus violentes.

Charley entr’ouvrit la portière.

Au dehors, les ténèbres étaient profondes, les étoiles voilées, l’air chargé de tourbillons de poussière, le feu du Conseil dispersé à tous les vents.

Les Indiens semblaient avoir disparu jusqu’au dernier, et les sentinelles elles-mêmes avaient abandonné leur poste ou étaient invisibles dans la tourmente.

« C’est le moment ou jamais ! s’écria Charley en s’élançant dans la nuit. Droit à la rivière !… »