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la guerre, on pouvait espérer qu’il serait plus accessible.

Ce projet réussit-il ? L’intraitable orgueil et la haine native des Apaches contre les blancs ont-ils capitulé devant la perspective terrifiante d’une répression sans pitié ni merci ? Toujours est-il que les abords de la Montagne-Perdue, où l’ingénieur a creusé d’autres galeries, présentent aujourd’hui, après trois années, l’aspect d’une ville jeune mais déjà florissante, protégée par une citadelle plus forte qu’aucune de celles que la main des hommes eût pu élever.

De loin, on aperçoit les cheminées de nombreuses usines, dont la fumée monte ou se déroule dans l’air en volutes épaisses.

Parfois, on y entend même le sifflet strident des locomotives, car un chemin de fer relie la ville nouvelle à la ville d’Arispe.

Autour, il ne reste plus rien de l’aspect sauvage d’autrefois, et des bateaux à voiles glissent sur le lac qui fournit une pêche abondante. Au loin, s’étendent de gras et vastes pâturages qui, de jour en jour, empiètent sur le désert, et où les nouveaux colons entretiennent un bétail nombreux.

Le succès de la mine a été aussi extraordinaire que rapide, et les filons d’or se succèdent les uns aux autres, plus riches à mesure que l’on pénètre plus avant dans les entrailles du sol. La Montagne-Perdue est devenue la Montagne-d’Or.

La fortune des quatre associés est considérable. Nous disons quatre et non plus trois.

Déchirant les marchés conclus, Estevan, Robert Tresillian et l’ingénieur avaient jugé qu’une part dans l’association, octroyée au gambusino, n’était qu’une dette de reconnaissance, après les services que celui-ci leur avait rendus.

Il n’est même pas un des mineurs que nous avons vus assiégés par les Indiens et si près de la plus affreuse des morts, qui n’ait réalisé de larges bénéfices.

Chacun d’eux a son cottage, souvent aussi coquet que confortable, annonçant l’aisance acquise par le travail ; et par un souvenir de gratitude, mêlé de douleur, ils se sont réunis, dans une pensée commune, pour élever un monument à la mémoire de Benito Anguez et de Jacopo Barral, mis à mort par les Coyoteros dans la nuit sinistre que l’on sait.

C’est une pyramide de pierre, sans ornements, sur une des faces de laquelle les noms des deux martyrs sont gravés, et entourée d’un grillage en dedans duquel les fleurs les plus rares sont cultivées et entretenues avec une sollicitude touchante.

Sur le plateau de la Montagne, un château d’architecture élégante se dresse, au sommet duquel flotte le pavillon national, citadelle en même temps que palais, où des canons à longue portée pourraient, au besoin, balayer la plaine dans tous les sens.

Peu à peu, marchands et fournisseurs sont venus. Des boutiques et des magasins se sont bâtis et ouverts çà et là, formant bientôt des rues où l’on voit une imposante maison d’école et jusqu’à une imprimerie où s’est fondé, presque aussitôt, un journal qui prospère. Tout fait donc présager un avenir des plus brillants à cette ville née presque d’hier.

Au centre de la cité, comme dans toutes les agglomérations de la population au Mexique, la Plaza Mayor, plantée d’arbres, présente la forme d’un rectangle dont chaque côté est bâti d’une façon plus riche et plus régulière que le reste de la ville. Sur l’un de ces côtés, une élégante chapelle a été édifiée et munie d’un clocher et d’une tour carrée, comme la plupart des chapelles mexicaines.

Trois ans, jour pour jour, après la délivrance des mineurs, Santa-Gertrudès est en fête.

Sur la place circule une foule bariolée, parmi laquelle, comme pour donner raison aux prévisions du colonel Requeñes, on aperçoit quelques Apaches couverts de riches sérapés aux couleurs voyantes. Rancheros, vaqueros des haciendas voisines, sous le pittoresque costume national, accompagnent leurs femmes et leurs enfants en habits de fête. Au milieu de toutes ces toilettes variées, on distingue parfois l’uniforme plus sévère des lanciers de Zacatecas, campés à quelque distance de la ville, après une récente et définitive expédition, jusqu’au cœur des tribus indiennes.

Les usines sont partout fermées, et les habitants ont abandonné leurs maisons. On entend le murmure incessant d’une foule en joie, dominé par le bruit des cloches de la chapelle, lancées à toute volée.

C’est le baptême du premier né d’Henry Tresillian et de Gertrudès de Villanneva, que l’on célèbre avec tant de pompe et de cordialité, dans la ville qui a reçu, par acclamation, le nom de la jeune et courageuse fille.